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Samedi 4 - Claude Plettner

  • Date: 3/06/23
  • Heure: de 9h30 à 14h30 (accueil à partir de 9h00)

Accueillir notre part manquante

Plettner Claude 1

 

« Après une scolarité mouvementée et difficile, je suis finalement devenue professeur de français » confie Claude Plettner. Et théologienne ! Car au terme d’un parcours atypique, elle va réaliser un master en théologie à l’Institut Catholique de Paris. « Alors que je proviens d’une famille assez fortement anti-cléricale » précise-t-elle. Ce qui ne l’empêchera pas de découvrir la nouveauté de l’Évangile vers l’âge de 18 ans.

 

 

Mais c’est la communication et l’écriture qui vont finir par s’imposer. Elle devient journaliste pour le Groupe Bayard, rédactrice en chef de magazines jeunesse et, finalement, directrice littéraire dans la même maison d’édition.
« Sur le tard », dit-elle, l’écriture prend de plus en plus d’importance ce qui va lui permettre de concilier « littérature, quête de sens et intelligence de la foi pour aujourd’hui ».
Parmi ses ouvrages, on peut retenir Contre le Dieu des évidences, Chère Thérèse d’Avila, L’autre christianisme, Lettres à Paul de Tarse, l’homme du scandale et Choisir le célibat ?
Dans son tout dernier livre, L’inconsolation (Bayard, 2021) elle explique que « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » et ajoute même qu’« Il y a des consolations qui aggravent la maladie ». D’ailleurs, et « C’est heureux : la Bible est pleine du refus d’une consolation facile ». Mais attention : « Les peines inconsolables créent en nous cette fragilité qui fait de nous des vivants. »


COMPTE-RENDU

« Se tenir à côté de celui qui souffre sans rien faire, n’est pas rien faire. »

C’est une fois encore dans l’église de Thorembais-les-Béguines qui nous accueillait, que le Prieuré a reçu Claude Plettner. Théologienne, éditrice, écrivaine, et autrice de L’inconsolation, paru chez Bayard, elle est venue témoigner de son parcours et partager son expérience. Interviewée par Gabriel Ringlet et accompagnée par les chants des Muses, elle a conclu admirablement cette saison centrée sur le thème de « consolation-inconsolation ».

DSC 0183Claude Plettner est une rebelle depuis toujours. Garçon manqué, insolente, elle a été renvoyée de tous les établissements scolaires qu’elle a fréquentés, jusqu’à ce qu’elle entre dans un établissement catholique, privé, qui a bien voulu l’accueillir. « Je relevais la tête au milieu du troupeau », dit celle qui a choisi l’indiscipline comme manière d’être.
Elle n’a que 13 ans lorsque son père meurt d’un cancer du poumon. Tout se passe dans le non-dit et on la met à l’écart de sa maladie et de sa mort. C’est un séisme particulièrement violent qui ne fait qu’aggraver ses échecs scolaires et sa rébellion.
Elle est née dans une famille laïcarde, et si elle suit malgré tout le parcours du catéchisme, c’est pour faire comme tout le monde, mais cela glisse sur elle comme l’eau sur les plumes d’un canard. Quand elle rentre dans l’enseignement catholique, où elle suivra les trois dernières années de ses études secondaires, elle y va à reculons, et pourtant, c’est là qu’elle va pouvoir exister pour elle-même, reconnue pour ce qu’elle est et non pas en fonction de ses échecs. Ce regard posé sur elle lui permet de s’épanouir et de découvrir la foi chrétienne. « Un jour, je me suis dit qu’il y avait peut-être un lien entre le regard qu’on pose sur moi et l’Évangile. »
À l’université de Bordeaux, elle découvre une équipe d’aumônerie particulièrement vivante et veut aller jusqu’au bout de sa découverte de l’Évangile. Sa rencontre avec le Christ, un événement qui bouleverse toute une vie, l’amène à se poser la question de la vie religieuse. Elle s’engage alors dans une communauté où elle reste durant sept années. Elle y fait le grand écart entre les jeunes post soixante-huitards qu’elle fréquente et le couvent où elle vit. « Tous aussi paumés, les uns que les autres », dit-elle dans un sourire. Elle y fait exploser le noviciat, car elle s’y sent à l’étroit. Si elle ressent un appel, ce n’est pas sous cette forme-là.

La liberté avant tout

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Elle fait le grand écart entre les soixante-huitards
et le couvent.

Elle entreprend des études de lettres et de théologie et cherche un lieu où elle pourra vivre pleinement sa spiritualité. C’est à l’âge de 34 ans qu’elle frappe à la porte de l’Institution Thérésienne, une association internationale de laïcs de l'Église catholique. Elle rassemble « des femmes et des hommes qui s’associent pour vivre leur foi et contribuer à la promotion humaine et à la transformation sociale, par l'éducation et la culture, à travers leurs responsabilités professionnelles et familiales, en participant à la mission évangélisatrice de l'Église », précise le site de

 

l’institution. C’est un lieu de liberté, rattaché à Thérèse d’Avila, dont Claude Plettner se sent proche : « Elle m’a donné les mots de ma propre expérience. » Elle y trouve à la fois une grande exigence sur la vie spirituelle et une grande liberté dans le mode de vie. Cette communauté ouverte et en recherche, respectueuse des libertés des personnes, est sans doute ce qui lui permet d’être encore d’Église aujourd’hui.
Si elle a choisi le célibat, elle conçoit bien que ce choix peut être problématique dans l’Église, elle y a d’ailleurs consacré un livre, mais pour elle, ce choix a du sens. En relisant son histoire, marquée par le veuvage de sa mère, désertée de sa propre vie, elle a voulu aussi briser la lignée de relations difficiles entre mère et fille depuis plusieurs générations. Mais elle ne peut pas être célibataire toute seule, c’est pourquoi elle choisit un art de vivre communautaire. Cet art de vivre au quotidien consiste à ne pas être dans une inquiétude perpétuelle pour l’avenir, à vivre dans le présent et s’étonner de la beauté de la nature. En tant que chrétiens, il s’agit aussi d’être dans l’ouverture à la solidarité, au partage, et à prendre du bonheur d’être dans la rencontre.

Traverser l’en-bas

Lorsqu’elle entre chez Bayard, comme journaliste, elle reçoit une formation à l’écriture journalistique. « Durant un an, aucun de mes papiers n’est publié, c’est une fameuse école d’humilité. Je remets sur le métier, ce que je croyais savoir faire. »
DSCF6927bisElle devient ensuite éditrice pour la même maison et donne alors la parole à d’autres, et les accompagne dans leur travail d’écriture. Elle collabore avec Frédéric Boyer, va chercher Maurice Bellet avec lequel elle entame une heureuse et fructueuse collaboration. « Cet homme reconnu et compétent a eu l’humilité d’accepter les remarques que je lui faisais. Il avait besoin d’être rassuré. Il y avait chez lui une fameuse cohérence entre son œuvre et sa vie. »
Elle rejoint aussi le peuple d’en-bas et c’est pourquoi elle est tellement touchée par ce livre de Maurice Bellet, La traversée d’en-bas, qu’elle éditera chez Bayard. « Ce livre me touche parce qu’il décrit ce passage par la catastrophe, par le pire du pire, quand on n’a plus de mot, de spiritualité qui tienne, de théologie qui nous réponde. Maurice Bellet décrit longuement cette expérience douloureuse, éprouvante, mais c’est passer par là qui fait de nous des vivants, si l’on n’est pas détruit au passage. Cette expérience de vulnérabilité, commune à notre humanité, peut devenir une expérience spirituelle, ou faire de nous des vivants. »
Dans son livre L’autre christianisme, paru en 2015, elle reprend les expressions traditionnelles du christianisme, les mots comme ciel, résurrection, dieu-amour, pour les revisiter, les dire autrement, de manière accessible, pour les revivifier.
Elle édite également Véronique Margron : « Une belle présence qui rend audible sa foi dans les grands médias. Elle a une belle humanité et la façon dont elle traverse les abus dans l’Église, dont elle tient sa parole et sa foi, est admirable. Elle a une liberté de parole et de foi sans cesse éprouvée et chevillée au corps. »

La joie au bout de l’épreuve

DSC 0193Dans son dernier livre, L’inconsolation, elle explique que notre besoin de consolation est parfois impossible à rassasier. Il arrive que l’ami qui pleure devant nous soit impossible à consoler. On ne peut pas toujours partager sa douleur. Mais si on n’est pas sûr de pouvoir le consoler, on peut être là, tout simplement, car ne rien faire, ce n’est pas rien faire. « Pour accompagner quelqu’un qui souffre, il faut être capable d’endurer l’inconsolation. On fait l’expérience que les mots manquent souvent. Être là en silence à côté de celle ou celui qui souffre, c’est éprouvant. On éprouve son impuissance. »
Claude Plettner ne supporte pas les mots qui viennent trop vite pour consoler, qui sonnent faux, qui sautent par-dessus l’épreuve, comme si la mort n’existait pas, pour plonger dans l’espérance. « L’espérance, ce n’est pas se détourner de l’insupportable, c’est le traverser. Un Dieu qui m’éviterait la traversée difficile, ce n’est pas mon Dieu. La consolation peut venir dans un second temps, une fois la traversée faite. »
Et au bout du chemin, il y a parfois la joie, « cette joie qui vient en surplus, en cadeau de ne pas avoir fui la traversée, de ne pas vivre une vie anesthésiée ». « Et c’est quand la joie vient après l’expérience, au bout du bout, qu’elle sonne juste et nous habite véritablement. »

 Jean BAUWIN

***

ÉVOCATION

C’est avec beaucoup d’émotions que je vais tenter d’évoquer ce que nous avons vécu, entendu ce matin, avec notre belle invitée, Claude Plettner, si inspirante et lumineuse.

Le Christ a toujours été attiré par des personnes atypiques, un peu  rebelles et il les a souvent approchées avec un respect et une délicatesse incroyables. C’est sans doute pour cela qu’il a marché sur les chemins de traverse aux côtés de Claude. Et comme l’écrivait Maurice Bellet, qui m’a aussi accompagnée dans les épreuves de la vie :

« La divine douceur se donne si elle veut (…) et peut faire taire le bruit de la mort. »

Comment donc accueillir la part manquante dans notre vie ?

  • Accueillir les séismes de nos deuils, de nos pertes, de nos épreuves intolérables, inexplicables, inconsolables. Mais surtout, ne pas rester anesthésiés dans cette souffrance.
  • Dans un premier temps, Claude s’est rebellée contre Dieu. Et puis, telle une grenade dégoupillée, elle a découvert un christianisme ouvert qui l’a accueillie telle qu’elle était. Et elle a transformé ce feu ardent en elle, en une quête de Dieu…
  • Alors, essayons de trouver le fil d’or qui nous permettra d’embrasser la totalité de la vie : le tragique comme le merveilleux. Certes, vivre c’est accepter et consentir au manque. Mais c’est aussi rejoindre le peuple d’en -bas. A notre tour, endurer l’impuissance devant l’inconsolable et être là, aux côtés d’un autre qui souffre.
  • Avec humilité, se remettre à apprendre à écrire, chercher et trouver les mots qui nous parlent.
  • Trouver ou créer une communauté de vivants qui rayonne de sens, de spiritualité et d’humanité.

Rendons grâce pour ces multiples pistes pour nous aider dans nos vies d’humains à accueillir notre part  manquante. Cet espace vide est peut-être un bel écrin pour y laisser une place à un divin incarné, à une spiritualité vivante pour enfin se délecter d’une paix et d’une joie retrouvées !

Je terminerai par cette proposition de Gabriel dans son dernier livre :

«  Osez une foi qui n’est pas encore dite. »’

Pourquoi ne pas vous lancer dans cette lecture avec une bonne bière belge au soleil ?

Claire Lepage

 
 

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« Être là en silence à côté de celui qui souffre,
c'est éprouvant. »

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Les mots qui viennent trop vite pour consoler.

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Quand la joie sonne juste.


Lien vers la vidéo :

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Interview : Gabriel Ringlet
Compte-rendu : Jean Bauwin
Évocation : Claire Lepage
      Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/
Animation musicale : Les Muses
Photos : Chantal Vervloedt-Borlée et
Patrick verhaegen
(03/06/2023)

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Samedis du Prieuré