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Jeudi Saint 2016 : Jean-Philippe de Tonnac - Rencontre

JEUDI SAINT 2016 : ÉCHOS DE LA RENCONTRE
 

LA BRÛLURE DU JEUDI

Pétri par les mains d’une femme…

Un Jeudi Saint avec Jean-Philippe de Tonnac

Écrivain et journaliste, Jean-Philippe de Tonnac est aussi titulaire d’un CAP de boulanger. C’est un des meilleurs connaisseurs du pain et de ses métiers. Il vient de publier chez Actes Sud un magnifique roman intitulé Azyme. Il y raconte comment une femme pétrit les pains du séder, conformément à la tradition juive, ceux-là mêmes que Jésus partagea avec les siens dans la chambre haute. Pour le Prieuré, le romancier-boulanger a refait les gestes de cette femme et a cuit les pains azymes du Jeudi Saint.

Il y a six mois, Jean-Philippe de Tonnac publiait chez Albin Michel Les morts de notre vie. Il y interroge sept personnalités sur leur rapport à la mort. En se servant de leur notoriété, il voulait séduire un éditeur pour aborder ces questions tellement importantes pour notre existence. La mort est au cœur du dispositif de l’existence, elle fait de nous des frères et sœurs.

Jean-Philippe de Tonnac aime se promener dans les cimetières. Il éprouve une grande compassion pour ces morts étendus qui ne sont pas les siens, et spécialement pour ceux qui semblent abandonnés. Il a du mal àcomprendre le sens de la crémation dans nos sociétés occidentales. Il a l’impression que c’est une façon de se débarrasser d’un souci, d’éviter l’obligation d’aller au cimetière, d’entretenir une tombe, de la fleurir. Si l’on ne veut pas abandonner les morts d’une façon aussi grossière, il est temps, pense-t-il, d’inventer un sens à la crémation.

 

 

 

 

 

En 2003, sa maman se suicide et si ce n’est pas vraiment une surprise, c’est un choc dont il mettra cinq ans à se remettre. « Il faut passer beaucoup de temps pour être nu devant une question qui n’a pas de réponse, pour s’apaiser », confie-t-il. Des rencontres avec un médium et un exorciste lui permettront de trouver cette paix.

En 2005, il publie Anorexia, Enquête sur l’expérience de la faim. Il a lui-même traversé une anorexie assez sévère. Il a mis quinze ans pour en sortir. Durant cette épreuve, il découvre un monde médical enfermé dans ses certitudes et incapable de le comprendre. L’anorexie est une expérience de l’absolu, un décollement, une envie de monter haut.  Les thérapeutes qui lui parlent de maladie grave lui donnent l’envie de mourir plutôt que de guérir. Leur diagnostic sonnait comme une condamnation. Il a passé trois ans alité. C’est la méditation qui l’a reconnecté à son corps, un corps qu’il aime aujourd’hui et qu’il incarne pleinement. Pour sortir de l’aventure anorexique, il a adopté la diététique du peu, un rapport frugal à l’existence.

En 2006, il écrit La révolution asexuelle. Si l’auteur a découvert la sexualité assez tard parce qu’il s’en méfiait et la redoutait, il l’aime beaucoup aujourd’hui, même si elle est rare. En effet, notre société propose une sexualité consumériste, mais ce moment de grâce où deux êtres ne font qu’un et se donnent la joie céleste, il est bouleversant, sublime et rare. Et si on ne peut pas atteindre cette voie-là, il reste convaincu qu’il vaut mieux se passer de la sexualité consommatrice.


La passion du pain

Après avoir consacré plusieurs ouvrages au pain, Jean-Philippe de Tonnac est devenu un expert en la matière. Autrefois, le pain était la nourriture de subsistance, le pain de vie qui permettait de rester en vie. Le blé était une source de richesse, car il nourrissait les animaux et les hommes. Aujourd’hui, dans notre société industrielle, le pain est réduit à peu de choses, comme la sexualité d’ailleurs. Et pourtant, quand il est bon, le pain est troublant, bienveillant. Il inspire confiance et se raccroche à la verticalité.

L’auteur se souvient avoir vu au Maroc, un boulanger pétrir son pain sur une planche et deux tréteaux. Il fallait le manger avec précaution parce qu’il contenait de petits cailloux, mais il était délicieux. Il y a vu un pain« transsubtantiel ». À travers lui, il percevait les gestes que le père du boulanger lui avait appris et qui s’étaient transmis de génération en génération. C’est la transmission qui lui est apparue dans ce pain.

S’il confesse ne pas avoir de religion, Jean-Philippe de Tonnac a une affection forte pour ce rabbi juif qu’était Jésus : « Je suis athée sans religion, mais croyant en ce rabbi, dit-il.  Il nous a demandé de nous déposséder de tout ce qui empêche d’ouvrir les mains, de la peur de perdre ce que nous avons. » Et le pain est, pour lui, la voie directe pour atteindre ce rabbi. Mettre la main à la pâte permet de se reconnecter à lui et au sacré.


Le grand traversé

Il découvre qu’au temps de Jésus, ce sont les femmes qui réalisent le pain de la Pâque. Il imagine donc les mains de cette femme qui a pétri les pains pour Jésus, comme une caresse. Il y a une grande sensualité dans ce geste, comme dans celui de la femme qui parfume le corps de Jésus à Béthanie. Les gestes qu’elle accomplit sont documentés et réalistes, pour le reste, le romancier a ancré son imaginaire dans les silences des évangiles. « Je suis très fier d’avoir rajouté une femme dans l’entourage du rabbi, poursuit-il. Jésus ne s’intéressait qu’à ceux qui étaient exclus du tableau, et le plus exclu de tous, c’est la femme. »

Le pain azyme n’est pas bon, c’est un pain castré. C’est un pain que l’on a empêché de devenir pain. La vocation de la farine est de fermenter quand on la marie à l’eau. C’est donc un non-sens de l’empêcher de lever. Mais ici, c’est le pain de l’urgence, le pain de la sortie d’Égypte. C’est surtout un pain identitaire qui permet aux Juifs de se raconter.

Le romancier a du mal à comprendre le pain eucharistique : « Je ne mets pas quelqu’un dans mon corps en mangeant ce pain, mais je ressens la force symbolique énorme de ce geste. » Le pain, c’est le mystère du grain qui lève de la terre. Il doit mourir pour donner du fruit. C’est une magnifique métaphore métaphysique. Le pain, c’est l’hommage rendu à la terre, à la nature et à Dieu.

C’est donc dans la chambre haute que le romancier-boulanger cueille Jésus. Il est pour lui un rabbi, un maître qui a généré ses héritiers par la puissance de son verbe. Il le rejoint en dehors de toute religion, parce que, dit-il : « Entre Jésus et Paul, que d’eau… que d’eau ! » Jésus était juif, mais on peut le partager, même si l’on n’est pas juif, il s’ouvre à tous. C’est un homme magnifique, un maître accompli dans sa relation avec l’autre. Dans le monde des hommes, on a besoin d’êtres comme lui. Jésus est le grand traversé et la lumière frappe directement ceux qui le rencontrent.

Jean BAUWIN
24 mars 2016

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

Photographies : Geneviève Bricoult 

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