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Samedi du Prieuré : Alexis Jenni (27/02/16)

SAMEDI DU PRIEURÉ : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Alexis Jenni : Comme un souffle brûlant

 

Alexis Jenni, prix Goncourt 2011 avec L'Art français de la guerre, était l’invité du Prieuré en ce 27 février. Sa foi, il la vit comme un élan, et sa spiritualité comme une expérience sensorielle qui n’est pas dissociable du corps. Rencontre avec un écrivain qui cherche l’humain, même dans les salauds qui traversent son œuvre.

Alexis Jenni est né de parents indifférents au religieux et au spirituel. Il grandit dans un monde déchristianisé où la religion est considérée comme une vieillerie destinée à disparaître. D’où lui vient donc ce goût inexplicable pour le spirituel ? Comme si quelque chose de muet, de mystérieux et de non articulé s’était transmis entre ses grands-parents et lui-même.
« La littérature, on la lit ou on en fait, mais on ne l’étudie pas », dit-il. C’est pourquoi, même s’il écrit depuis toujours, il fait des études de biologie. Cela lui permet de découvrir le monde tel qu’il est, dans son immense complexité. C’est une science qui mélange l’observation, la théorie, l’émerveillement et la spéculation. Et un littéraire qui enseigne les sciences, cela peut faire un bon professeur.
Après avoir enseigné un an du côté de Valenciennes, il retourne sur ses terres, à Lyon, où un poste vient de se libérer dans un collège jésuite. Il découvre peu à peu que c’est le lieu où il devait être. Il rencontre des Jésuites ouverts sur le monde, d’une intelligence brillante et d’une grande détermination spirituelle. Leur accueil lui fait découvrir l’Église par son côté éclairé. « Le christianisme, c’est chez moi », poursuit-il.
 

Un christianisme de monastère

À plusieurs reprises, il accompagne ses élèves en retraite au Carmel de Mazille, en Bourgogne. Il y rencontre des femmes d’une moyenne d’âge assez jeune. Elles tiennent une ferme où elles partagent leur temps entre les travaux des champs, la réflexion et la prière. Elles sont dynamiques et rayonnantes, ce qui ne manque jamais d’étonner les jeunes qui leur posent souvent des questions sur ce qui leur manque : la vie de famille, de couple, les voyages, etc. Mais elles répondent dans l’ordre du plus : elles vivent plus, elles rencontrent plus de gens. Un jour un des jeunes a demandé à l’une d’entre elles pourquoi ce vœu de silence ? Elle a répondu : « Parce que Dieu ne parle pas fort. Il faut se taire pour l’entendre. » Ce fut pour Alexis Jenni, un choc que cette rencontre avec la spiritualité. Il reste émerveillé par ce christianisme de monastère au point de préparer, avec Nathalie Sarthou, un livre sur Enzo Bianchi, fondateur d’un monastère mixte et œcuménique à Bose, dans le Nord de l’Italie.


Explorer la violence

Depuis l’âge de 27 ans, il écrit avec le projet d’être édité. Pendant vingt ans, ses romans sont refusés par les éditeurs. Peu importe, ce qui compte, c’est le bonheur d’écrire. Cela le nourrit et le fait grandir. Et puis, en 2011, Gallimard accepte L’Art français de la guerre. C’est un vrai cadeau que ce souhait de vingt ans enfin exaucé. Tout le reste est donné en plus : l’accueil de la critique et le prix Goncourt. Ce succès l’encourage à continuer d’écrire et lui rend un peu de confiance.
Avec ce roman, il voulait écrire un roman d’aventure, épique et plein de rebondissements. Beaucoup de Français ignorent, parce qu’on l’occulte, l’histoire des guerres coloniales. Il y avait donc là un réservoir inexploré d’histoires à raconter. Pourquoi les historiens eux-mêmes n’arrivent-ils pas à raconter cette période coloniale vécue comme un véritable traumatisme ? C’est comme si la France avait été amputée d’une partie d’elle-même et qu’elle gardait des douleurs d’un membre fantôme. Il a tenté de comprendre de l’intérieur les gens qui font la guerre, parfois pendant vingt ans. Il a tenté de rendre de l’humanité à tout le monde, même aux méchants. « Il n’y a pas assez de sadiques dans la population pour expliquer toutes les violences qui ont été commises. Cela veut dire que n’importe qui peut commettre ces violences extraordinaires », lance-t-il. Le héros de son roman refuse de pratiquer la torture, mais il dessine ceux qui la font et s’en rend ainsi complice. « La force du groupe est immense. On préfère faire des abominations avec ses amis que de faire des choses morales tout seul. Gloire à ceux qui ont refusé de pratiquer des abominations, mais ils ne sont pas nombreux et le payent cher parce qu’ils sont exclus du groupe », explique-t-il. La torture est une technique de terreur qui permet de souder un groupe contre le bouc émissaire. La stratégie des groupes terroristes n’est pas différente aujourd’hui.


Réinterroger les mots

« Les mots de Dieu se sont encroutés », a-t-il écrit. Les mots sont tellement usés qu’on ne sait plus ce qu’ils veulent dire. Il donne l’exemple du mot Esprit, qui est la traduction que l’on a donnée du mot Pneuma (le volatile, l’impalpable) au 17e siècle. Ensuite le mot a pris le sens de Psychisme. Aujourd’hui, le mot Esprit ne veut donc plus dire ce qu’il disait quand on a traduit la Bible en français. La traduction des éditions Bayard par le mot Souffle est donc plus proche du sens original. Tout cela pour dire qu’il faut sans cesse revenir au mot d’origine, pour se souvenir de ce qu’il voulait dire. Il faut le réinterroger parce que les mots conservent mal le sens, ils dérivent ou se figent. Nous ne connaissons Dieu qu’à travers des traductions, c’est pourquoi il convient de réinterroger les mots en permanence.
Croire est pour lui une joie et non une consolation. Que le monde soit habité par une présence divine ne le console pas du monde, mais le rend plus merveilleux. Ce n’est pas la vie après la mort qui le préoccupe, mais la vie avant la mort. C’est d’abord à travers un Islam subtil et intelligent qu’il découvre la possibilité de Dieu, en Turquie dans les années 80. L’Islam danse au plus près de ce qui ne se dit pas. Dieu est inconnaissable et on essaie de tourner autour de lui. Et si, aujourd’hui, l’Islam est malade, on fantasme souvent l’altérité : l’autre n’est si autre qu’on le croit. Ensuite, avec le Christianisme, il découvre un Dieu qui se rend présent au monde à travers le Christ.
Il pratique aussi le Tai-Chi qui lui apprend qu’on peut pratiquer un rapport très intense au corps quelle qu’en soient ses limitations. On peut être au centre de soi-même et garder un rapport heureux à son corps, même si la machine se dégrade.
Souvent, on se projette dans l’autre, on a mal là où l’autre a mal, c’est pourquoi on a tellement peur d’être confronté à la souffrance de l’autre. Il faut apprendre à la supporter avec tranquillité, à toucher le corps souffrant de l’autre ou à le regarder avec bienveillance. Il faut pouvoir accueillir une souffrance contre laquelle on ne peut rien.
La violence que l’on se fait à soi ou à l’autre est souvent la conséquence d’une rupture de lien. Le jeune qui se fait violence s’enferme dans une bulle et celui qui fait violence à l’autre le réduit à un objet. On constate que beaucoup de jeunes radicalisés sont passés par un moment d’isolement. La solution passe par la recréation du lien.

Jean BAUWIN
(27/02/2016)

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

 

 

 

 

 

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