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Samedi du Prieuré : Frédéric Loore (21/11/15)

SAMEDI DU PRIEURÉ : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Frédéric Loore : Partager la flamme

 

Frédéric Loore est grand reporter à Paris Match. Même au cœur de l’actualité la plus brûlante, il tente de garder la tête froide et la distance nécessaire pour décrypter l’information. Son intervention au Prieuré, ce samedi 21 novembre fut remarquée et remarquable, tant il porte sur les médias et l’avenir du christianisme un regard sans concession.

À l’école, Frédéric Loore était un enfant rêveur que son institutrice surnommait le faucheur de marguerites. Il passait en effet tout son temps à regarder par la fenêtre. Lui-même avoue, avec les mots d’Anatole France : « De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure. » Après sa rhéto, il suit Jacques Bourlet, grand reporter à la RTBF, durant deux mois. Ce stage d’observation le conforte dans son envie de devenir journaliste et de faire du journalisme autrement. Avec Marcel Leroy, il découvre cette façon passionnée et passionnante de raconter le fait divers en lui donnant une portée universelle.
Jeune journaliste, Frédéric Loore débute à la Dernière Heure, « la meilleure école à condition d’en sortir », dit-il en souriant. Il fallait en effet être polyvalent et produire plusieurs papiers par jour, sur des sujets très divers. C’est un rodage formateur.
Aujourd’hui, à Paris Match, il peut pratiquer ce qu’il aime le plus, un journalisme de temps long, un véritable luxe en cette époque où les chaînes d’infos en continu occupent l’espace médiatique en le remplissant d’images et d’informations en temps réel, sans prendre le temps de la vérification ni du décryptage. Ce n’est plus du journalisme, mais de la communication.
Mais lui, ce qu’il préfère, c’est le journalisme d’immersion, des enquêtes qui peuvent prendre plusieurs mois. Il passe du temps sur le terrain avec les gens, tente de les apprivoiser, de les mettre en confiance pour percevoir toutes les nuances de situations souvent très complexes. Il s’agit pour lui de décrypter le réel, de comprendre pour faire comprendre. Il faut pour cela de la curiosité, de l’empathie, de l’intelligence, et surtout beaucoup de temps… et d’argent.


Du côté de victimes

Il travaille beaucoup sur le trafic des êtres humains. Un jour, quelqu’un a attiré son attention sur l’exploitation des gens dans le football. En enquêtant sur le terrain – un terrain vague d’Anderlecht – il découvre une réalité effarante : des dizaines de joueurs originaires d’Afrique de l’Ouest s’y rassemblent pour jouer au football. La plupart sont en séjour illégal, ils sont venus en Belgique parce que des agents véreux leur ont promis des contrats juteux dans de grands clubs. Les familles se sont endettées, souvent sur plusieurs générations, pour offrir le voyage à leurs enfants. Au final, ils se retrouvent à la rue, vivent d’expédients, de travail au noir et d’exploitation.
Avec son comparse photographe, Roger Job, il est allé en Côte d’Ivoire pour tenter de comprendre pourquoi ces jeunes se mettent dans de si terribles situations. Il découvre un pays où tout le monde joue au foot. 185 centres de formation sont reconnus rien qu’à Abidjan. Tous ces jeunes attendent qu’un manager providentiel vienne les repérer et leur offrir l’Eldorado. Beaucoup se font donc piéger par de faux agents qui vont exploiter leur misère et leur naïveté. Il raconte tout cela dans un livre : Marque ou crève, aux éditions Avant-Propos.
C’est la même attention pour les victimes qui le pousse à s’intéresser aux mineurs étrangers non-accompagnés, les MENA. Ces jeunes qui se retrouvent seuls dans la jungle urbaine de nos villes sont des proies toutes désignées pour des réseaux qui vont les utiliser à des fins criminelles : prostitution, vols dans les habitations, vente de stupéfiants, etc.


Réintroduire le subtil dans l’utile

« L’objectivité dans le journalisme est un vieux mythe, rappelle-t-il. L’essentiel est d’être honnête. » Il concède également qu’il y a une forme d’idéalisme chez le journaliste : une volonté de changer le réel, de peser sur lui, de modifier la réalité qu’il dénonce.
Frédéric Loore a grandi dans un milieu protestant, rigoriste et peu ouvert, mais son noyau familial lui a permis d’échapper à cet enfermement. Son père, qui pratiquait un protestantisme libéral, lui a ouvert des portes : la foi n’est pas une affaire de religion, mais de relations. Et s’il parvient à ne jamais mêler sa foi et son métier, il sait que ses convictions religieuses influencent le choix de ses sujets. Plutôt que de se livrer à une chasse aux sorcières, il privilégie le point de vue des victimes. Décrypter le réel, c’est mettre un peu de spiritualité dans une réalité humaine qui a perdu cette dimension-là. Il faut réintroduire du subtil dans l’utile, affirme-t-il à la suite du philosophe Pascal Chabot. Alors qu’on tente de réduire l’existence humaine aux seuls problèmes de consommation et de production, à l’aspect matériel et utile, il faudrait plutôt parler du lien entre les choses et les gens, de la durabilité et de la diversité, bref du subtil.
Au lendemain des attentats de Paris, il enquête à Molenbeek pour tenter de comprendre le processus de radicalisation. Il a rencontré un imam qui raconte que ces jeunes sont désislamisés et hors de contrôle des mosquées où, leur dit-on, on prône un islam vendu. Ils sont en perte de repères et la proie de prêcheurs de rues ou sur internet. Il est facile alors de les couper de leurs proches et d’instrumentaliser leur religion pour les inciter à commettre des actes injustifiables.


Un message inaudible

Dans la seconde partie de la rencontre, Frédéric Loore a évoqué l’avenir du christianisme et de la question spirituelle. Pourquoi le message ne passe-t-il plus ? Comment faire entendre une voix différente dans le monde chrétien ? Il observe à cet égard un parallélisme entre le monde chrétien et le monde médiatique. Depuis trente ans, avec l’apparition des nouveaux moyens de communication, on est passé à l’ère de la communication et le paradoxe de notre société est que les messages deviennent incommunicables en raison du bruit ambiant. La surabondance des messages les rend inaudibles. L’information est aux mains des marchands qui vendent aux journalistes une info toute-faite, prémâchée. Pour décrypter le réel, Frédéric Loore croit à la supériorité de la narration sur le pêle-mêle du Web. Il faut tenter d’aller voir derrière le théâtre de marionnettes que les médias agitent sous notre nez. Et pour dévoiler ce qui est dissimulé, il faut faire le pari du reportage, de la qualité et de l’exactitude.
Il en va de même pour le message chrétien. Depuis l’effondrement des grandes idéologies qui donnaient du sens à l’existence des hommes, les gens ne croient plus en rien, rejettent les églises institutionnelles dont le langage s’use, et se ruent dans le relativisme ambiant. La demande de spiritualité n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui, mais elle surgit hors de la religion. Chacun fait son marché en allant puiser des éléments dans les philosophies orientales, la psychologie du bien-être et des systèmes alternatifs. Le danger est la dérive sectaire ou le syncrétisme total, où tout est dans tout, et où tout se vaut.


Comme la flamme de la bougie

Comment donc porter une parole qui touche les gens ? En disant doucement une parole forte. À l’heure où certains affirment des identités, des convictions, brandissent des croyances avec de plus en plus de violence, il faudrait revenir à une parole pauvre, débarrasser la source vive de ses pollutions et de ses trahisons.
Une seconde piste est la fraternité en actes, s’investir dans le monde associatif, aller à la rencontre de l’autre.

Une troisième piste, c’est d’aller au-delà des frontières ecclésiologiques qui sont souvent des barrières au lieu d’être au service de la rencontre. Une frontière, c’est comme un fleuve. C’est une source de vie pour les gens qui habitent sur les deux rives, mais les hommes en ont fait l’enjeu de conflits et de guerres. Passer sur l’autre rive, c’est partager la richesse que nous avons en commun, ajoute-t-il. Une église qui veut réussir n’est pas une église installée, immobile. Mais le mouvement fait peur. Pourtant, la foi, ce n’est pas le lieu des gens arrivés, c’est le lieu des gens en marche. Et pour l’illustrer, il termine avec la métaphore de la bougie. Tout ce qui est partagé vit, tout ce qui n’est pas partagé meurt. Quand une bougie sert à en allumer d’autres qui en allumeront elles-mêmes d’autres, cela multiplie les richesses et la lumière. Quand on garde la bougie pour soi, elle s’éteindra, et avec elle, ce qui fut sa richesse.

Jean BAUWIN
(21/11/2015)

 

 

 

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