Skip to main content

Vendredi Saint 2014 : La Passion selon Agnès Bressolette

VENDREDI SAINT 2014 : LA PASSION

LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, SELON SAINTS MATTHIEU, MARC, LUC ET JEAN

relue par Agnès Bressolette

 

1.   Regard

                        Abandonné et trahi par ses amis

Je suis touchée par la vulnérabilité de Jésus : il demande du soutien à ses amis, il a besoin d'eux.Là tout de suite.
Il ne masque pas sa tristesse et sombre dans l'angoisse. L'angoisse, même elle, ne lui est pas épargnée. A-t-il pleuré ? Les évangélistes n'en disent rien mais l'Epître aux hébreux le suggère. N'y a-t-il personne pour sécher ses larmes, pour le consoler ?
Ne doute-t-il pas à cet instant de ses propres paroles : "heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ? ". Cette phrase a-t-elle encore du sens ?
Etre abandonné et lâché par les siens est peut-être la pire des expériences.
Combien cette expérience résonne-t-elle en de multiples cœurs sur terre : prisonniers, malades, exilés, personnes tenaillées par le noir, esseulées depuis la mort d'un autre,... chacun de nous par moment ? On tient quand on sait qu'au moins une personne croit encore à nous. Quand plus personne ne croit en soi, sur quoi s'appuyer ? C'est la chute. Le corps, l'esprit se liquéfient dans une angoisse à l'état pur. L'homme n'est pas fait pour être seul et le voilà renvoyé à cette solitude abyssale.
"Qui, si je criais, qui donc entendrait mon cri" dit le poète, cri universel des abandonnés de la terre. Plus personne ne répond.
En vivant cette expérience d'abandon et de trahison, le Christ viendrait-il me rejoindre dans ma vulnérabilité originelle ? 

2.   Regard

                        Il ne lui répondit plus un mot

Face à l'agitation du monde, face au questionnement insistant, à la surenchère de témoignages ou au bruit, ne pas répondre serait-il une réponse ?
L'échange entre Pilate et le Christ n'est pas un dialogue, c'est une mascarade. Dans la forme, les règles sont pourtant suivies à la lettre : on l'interroge, on lui donne la parole mais dans le fond, personne n'est prêt à l'écouter. Ses réponses sont données d'avance par ceux qui l'accusent.
Savoir d'avance la parole de l'autre, taire sa parole, la compter pour rien, c'est avoir une emprise sur lui, ne pas le reconnaître pour ce qu'il est. C'est nier son existence, le réduire à rien. Les dialogues du Christ avec ceux qu'il a rencontrés durant sa vie publique sont à l'opposé : il rejoint chacun dans son existence par un accueil et une écoute. Les mots, la parole sont la marque de notre humanité. Le verbe fait chair est au cœur de la foi.
Mais face à la folie humaine les mots seraient-ils sans poids ?

Le Christ ne lui répondit plus un mot. Son silence devant Pilate est-il à entendre comme une réponse? Une manière de rejoindre tous les opprimés de la parole ?
Ceux que l'on tue parce que leur parole dérange, ceux dont on étouffe la parole, ceux dont on ignore la parole, ceux dont on ne veut pas entendre le cri lorsque la douleur se fait sèche, que les larmes ne sont plus possibles, chacun de nous, quand personne ne veut nous entendre et lorsque nous sentons que notre existence même est bafouée.

 

3.   Regard

                        L'obscurité se fit dans tout le pays. Le rideau du temple se déchira.

Dans la montée du Calvaire, le Christ accueille sa vulnérabilité jusqu'au bout, jusqu'à l'humilité. Il ne refuse ni la présence, ni l'aide des hommes : Simon de Cyrène, les deux larrons, Marie sa mère, la sœur de sa mère, Marie-Madeleine, Jean, les soldats. Même le Christ, Dieu fait homme, accepte de recevoir l'aide d'un autre comme la marque ultime de l'accueil de sa vulnérabilité.
Demander de l'aide et accepter que quelqu'un fasse à ma place ce que je ne peux plus faire est le signe d'un cœur large. Le Christ dans sa vulnérabilité nous rejoint dans la nôtre quand dans la faiblesse de notre corps ou de notre psyché malade nous devons nous abandonner dans les mains d'un autre.
Le Christ s'offre vulnérable en nos mains.
Et Dieu ? Son silence face au cri du Christ, son silence incompris et dénoncé depuis par les hommes, viendrait-il en écho à celui du Christ devant Pilate qui rejoint chaque homme bafoué ? Le rideau déchiré du temple, la nuit qui tombe ne sont-ils pas des signes de la présence de Dieu ? Auparavant le ciel s'était ouvert, accompagné d'une parole de Dieu, au moment du baptême et de la transfiguration du Christ. Ici sur le Calvaire l'obscurité se fit dans tout le pays. Le rideau du temple se déchira. Pas de parole.
Certains se réfèrentt aux paroles que Dieu prononce devant le prophète Jérémie "mes yeux fondent en larmes, nuit et jour sans cesse par pudeur"... "mes yeux fondent en larmes, nuit et jour sans cesse par pudeur". Ils suggèrent que le silence de Dieu, serait à imputer à sa pudeur, à un Dieu qui reste silencieux pour cacher ses larmes, des larmes d'amour blessé. Vulnérabilité des hommes, vulnérabilité du Christ, vulnérabilité de Dieu.

 

 

4.   Regard

                        Comme c’était vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat.

Les obligations rituelles justifieraient-elles d'accélérer la mort ou, une fois le corps mort, de s'en débarrasser au plus vite ? N'est-ce pas limiter les rites à leur dimension formelle, voire les utiliser pour nous détourner de ce que nous ne voulons pas voir ?
Pourtant l'eau et le sang jaillis du corps mort du Christ sont à recevoir comme des signes de vie. Comment alors les rites peuvent-ils être habités et nous aider quand, après un cataclysme, l'heure n'est plus à penser ou à parler ? Quand la stupeur seule s'impose au corps et au psychisme accablés de ceux qui restent.
Comme c’était vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat.
Les rites religieux, sociaux ou plus simplement du quotidien sont peut-être à ces moments là une aide au creux de notre vulnérabilité mise à nue : faire la cuisine, éplucher des légumes, faire des formalités, biner son jardin, laver sa maison, reprendre le bricolage, conduire... Toutes ces activités de routine, souvent inaperçues ou considérées comme sans valeur, deviennent étonnement au jour des grands désastres un appui. Des perles de lumière.

 

 

5.   Regard

                        Ils l’enveloppèrent d’un linceul

L'élan est plus fort que la peur : Joseph d'Arimathie malgré sa peur va quand même trouver Pilate pour enlever le corps du Christ. Nicodème qui avait rencontré Jésus de nuit pour, raconte-t-on, ne pas être vu, est un des premiers après la mort du Christ à prendre un risque. Un risque double peut-être : vis-à-vis des juifs tout d’abord et vis-à-vis de lui-même et de ses convictions initiales. Il accepte semble-t-il de se laisser ébranler et d’en être transformé.
Lors de sa rencontre avec le Christ, Nicodème homme de la connaissance avait construit sa vie sur le savoir. Il s’entendit répondre par le Christ : « à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ».
Alors que tout est fini avec la mort du Christ, on peut se demander de manière pragmatique, à quoi bon dépenser la quantité généreuse de cent livres d’aromates onéreuses ? Nicodème a quitté le monde de l’utilitaire, du raisonnement objectif, pour naître à celui de l’invisible, au monde de l’Esprit qui invite au don de soi et au geste gratuit.
Personne n’est jamais figé mais bien invité à naître de nouveau. Chacun de nous est appelé à la suite de Nicodème.
Le geste ancestral d’envelopper d’un drap, de bandelettes, d’un linceul évoque l’enveloppement du nourrisson, du malade, du corps mort.
Envelopper est le geste de soin qui vient dire à chacun de nous, au cœur de sa vulnérabilité, que nous sommes accueillis quoi qu’il en soit. Ce geste ancestral de « l’enveloppement » empreint de douceur bouleverse au-delà de notre entendement. A en pleurer. Car l’homme a cette capacité d’ajouter une goutte de douceur dans un océan de larmes. Il suffit d’une goutte.

Agnès Bressolette
Vendredi Saint 2014