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Vendredi Saint 2013 : La Passion selon Corinne van Oost

VENDREDI SAINT 2013 : LA PASSION


LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, SELON SAINTS MATTHIEU, MARC, LUC ET JEAN

relue par Corinne Vaysse – van Oost

en communion avec les personnes malades et celles et ceux qui les accompagnent.

 

1.    JE PENSE À MARIE…

Récit

L. Jésus sortit pour se rendre, comme d’habitude, au mont des Oliviers et ses disciples le suivirent. Arrivé là, il leur dit :
+ « Priez, pour ne pas entrer en tentation. »
L. Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. Se mettant à genoux, il priait :
+ « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. »
(…)

L. Il parlait encore quand parut une foule de gens. Le nommé Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. Jésus lui dit :
+ « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? »
L. Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent :
D. « Seigneur, faut-il frapper avec l’épée ? »
L. L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Jésus répondit :
+ « Laissez donc faire ! »
L. Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit.
Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, chefs de prêtres, officiers de la garde du Temple et anciens :
+ « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est maintenant votre heure, c’est la domination des ténèbres. »
L. Ils se saisirent de Jésus pour l’emmener et ils le firent entrer dans la maison du grand prêtre.

Regard

                        « … et puis c’était l’épuisement »

La plupart des patients luttent contre la maladie de toutes leurs forces. Et plus ils sont jeunes et plus ils vont accepter les propositions thérapeutiques, malgré les souffrances engendrées par ces traitements.
Je pense à Marie.
Marie avait à peine 52 ans. Son cancer avait grandi dans son ventre malgré les cures de chimio… Six mois en enfer. Au moins quatre jours à l’hôpital toutes les trois semaines, immobilisée dans un lit, en chambre à deux. Il ne faut pas espérer le repos. Ni la confidence. Il y a bien les visites pour la distraire mais elle ne savait plus si elles étaient bienvenues, car, comment parler, parler vraiment, devant des inconnus ? Et puis, parfois, elle ne supportait plus les paroles échangées à côté d’elle… Au fil des séances, ses forces diminuaient. En plus elle ne gardait rien de ce qu’elle essayait de boire ou de manger après les perfusions de ces terribles produits. De retour chez elle, enfin, les vomissements et les nausées continuaient durant la première semaine, puis c’était l’épuisement jusqu’à la séance suivante. Et il fallait tenir, repartir à l’hôpital. Six mois en dehors de la vie normale, sans compter l’impossibilité d’assister aux mariages de deux neveux. Et plus question de vacances en famille. Jusqu’au jour où elle va s’entendre dire que la tumeur résiste au traitement, qu’elle continue à grandir, qu’il n’y a plus rien à faire, qu’il faut mettre en place des soins palliatifs…

***

« Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe »

 

2.    LA FAMILLE DE LÉON

Récit

L. Dès le matin, les chefs des prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le grand conseil. Puis ils enchaînèrent Jésus et l’emmenèrent pour le livrer à Pilate. Celui-ci l’interrogea :
A. Es-tu le roi des Juifs ?
L. Jésus déclara :

+ C’est toi qui le dis.
L. Mais, tandis que les chefs des prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit :
A. Tu n’entends pas tous les témoignages portés contre toi ?
L. Mais Jésus ne lui répondit plus un mot, si bien que le gouverneur était très étonné. Or, à chaque fête, celui-ci avait coutume de relâcher un prisonnier, celui que la foule demandait. Il y avait alors un prisonnier bien connu, nommé Barabbas. La foule s’étant donc rassemblée, Pilate leur dit :
A. Qui voulez-vous que je relâche : Barabbas ? ou Jésus qu’on appelle le Messie ?
L. Il savait en effet que c’était par jalousie qu’on l’avait livré. Les chefs des prêtres et les anciens poussèrent les foules à réclamer Barabbas et à faire périr Jésus. Le gouverneur reprit :
A. Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ?
L. Ils répondirent :
F. Barabbas !
L. Il reprit :
A. Que ferai-je donc de Jésus, celui qu’on appelle le Messie ?
L. Ils répondirent tous :
F. Qu’on le crucifie !
L. Il poursuivit :
A. Quel mal a-t-il donc fait ?
L. Ils criaient encore plus fort :
F. Qu’on le crucifie !
L. Pilate vit que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le désordre : alors il prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant :
A. Je ne suis pas responsable du sang de cet homme : cela vous regarde !
L. Tout le peuple répondit :
F. Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants !
L. Il leur relâcha donc Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller et le leur livra pour qu’il soit crucifié.

Regard

                        « Ils n’arrivaient plus à le prendre en charge »

Certaines personnes, les plus âgées souvent, sont comme terrassées par la maladie ; comme si celle-ci avait absorbé leur capacité à vivre.
Parfois elles ont entendu et compris que la médecine avait perdu le combat. Parfois l’état de leur corps leur fait penser qu’il vaut mieux mourir que vivre ainsi. A d’autres moments encore, leur tête les fait voyager dans le temps et l’espace au lieu de rester avec nous.
C’était le cas de Léon.
A 82 ans, Léon avait un cancer en phase terminale. Il dormait de plus en plus, refusait de manger, demandait seulement qu’on le laisse tranquille. Mais sa famille s’obstinait à lui donner à manger et à boire. De plus, elle avait décidé de ne pas lui parler de sa maladie, car « vous comprenez, il va se laisser aller, il est déjà un peu dépressif, alors vous voyez ! »
Son épouse, tellement attachée à lui, ne voulait pas le voir partir, mais quand il a commencé à aller plus mal, à ne plus savoir rejoindre son fauteuil, à ne plus dormir la nuit, les proches ont décidé qu’il fallait l’hospitaliser car à la clinique, c’est sûr, on l’aiderait à manger, à se lever. Et puis, il aurait des perfusions…
Léon était trop mal pour s’opposer à qui et à quoi que ce soit, et il a pris les médicaments que le service lui proposait pour son confort…

***

Alors Pilate lui dit :
-       Tu n’entends pas tous les témoignages portés contre toi ?
Mais Jésus ne lui répondit plus un mot.

 

3.    J'AI ENCORE SOUVENIR DE CYRIL

Récit

L. Alors les soldats du gouverneur prirent avec eux Jésus dans le Prétoire et ameutèrent sur lui toute la cohorte. L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate, puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête, avec un roseau dans sa main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se moquèrent de lui en disant :
A. Salut, roi des Juifs !
L. Et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête. Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier.
L. En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix. Arrivés à l’endroit appelé Golgotha, c’est-à-dire Lieu-du-Crâne ou Calvaire, ils donnèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goûta, mais ne voulut pas boire. Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ; et ils restaient là, assis, à le garder.
Pour indiquer le sujet de sa condamnation, on écrivit au-dessus de sa tête : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. Avec lui furent crucifiés deux brigands, l’un à sa droite, et l’autre à sa gauche. Les passants l’injuriaient, et secouaient la tête en disant :
F. Toi qui détruis le temple, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même ! Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix !
L. Les principaux sacrificateurs, avec les scribes et les anciens, se moquaient aussi de lui, et disaient :
A. Il en a sauvé d’autres, et il ne peut se sauver lui-même ! S’il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Il s’est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime. Car il a dit : Je suis Fils de Dieu.
L. Les brigands, crucifiés avec lui, l’insultaient de la même manière. Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, il y eut des ténèbres sur toute la terre. Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte :
+ Eli, Eli, lama Sabachthani ?
L. C’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Quelques-uns de ceux qui étaient là, l’ayant entendu, dirent :
A. Il appelle Élie.
L. Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge, qu’il remplit de vinaigre, et, l’ayant fixée à un roseau, il lui donna à boire. Mais les autres disaient :
A. Laisse, voyons si Élie viendra le sauver.
L. Jésus poussa de nouveau un grand cri et rendit l’esprit.

Regard

                        « Il avait demandé l’euthanasie à plusieurs reprises »

Notre accompagnement en soins palliatifs est un vrai combat. Contre la désespérance liée à la mort, certainement, mais aussi contre un énorme sentiment d’échec puisque la maladie a le dernier mot.
Notre victoire, c’est l’apaisement de la personne qui meurt. L’apaisement de ses proches aussi. Ce qui est insupportable pour nous, les soignants, ce n’est pas la mort, mais la souffrance liée au désespoir, aux conflits, aux séparations, à la violence. Cette souffrance-là peut nous anéantir nous aussi.
Je garde le souvenir de cet homme qui souffrait d’une tumeur cérébrale. Il avait 40 ans. Je le vois encore, avec sa jeune épouse, ses trois enfants, ses parents, sa sœur à laquelle il était si attaché.
Cyril acceptait très mal sa dégradation physique. Il avait demandé l’euthanasie à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, devant la souffrance de sa femme et de ses enfants surtout, il repoussait ses limites. Ses parents et sa sœur soutenaient sa demande de mort. Et l’équipe naviguait entre les deux parties, essayant d’accompagner ses souhaits qui évoluaient. Nous lui avons proposé un sommeil continu, plus acceptable pour les enfants. Un matin,  sentant son épouse toujours hésitante pour l’euthanasie, il est rentré dans une colère violente, se tapant la tête contre les barreaux, puis envoyant des projectiles vers tous ceux qui approchaient. Cette violence retournée contre lui nous a beaucoup marqués, traumatisés même. Alors, avec son accord, nous avons mis en place une sédation. Il est mort quelques heures plus tard. Mais quelle souffrance !

***

« Comme c’était vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat »

 

4.   JULIEN VOULAIT FINIR A LA MAISON

Récit

L. Comme c’était vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat (d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque). Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Des soldats allèrent donc briser les jambes du premier puis du deuxième des condamnés que l’on avait crucifiés avec Jésus. Quand ils arrivèrent à celui-ci, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi. (Son témoignage est véridique et le Seigneur sait qu’il dit vrai.) Tout cela est arrivé afin que cette parole de l’Écriture s’accomplisse : « Aucun de ses os ne sera brisé. » Et un autre passage dit encore : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. »

Regard

                        « Avec l’envie de demeurer là »

Parfois, nous nous sentons devenir les spécialistes de la fin de vie. Les autres professionnels et les familles nous confient leur malade parce qu’ils pensent qu’ils ne parviennent plus à bien les soigner, bien les accompagner. Il faudrait que tous meurent dans un service de soins palliatifs. Julien, comme beaucoup, souhaitait finir sa vie chez lui, avec le souvenir de son épouse qu’il avait accompagnée là, mais une chute l’a emmené chez nous.  Comme d’autres, il a consenti à ne plus rentrer chez lui pour rassurer ses deux filles. Mais se sentant une charge pour ses proches, il voulait mourir vite, dormir le plus possible, dépendre le moins possible des autres. « A quoi ça sert, de vivre ainsi ? ». Au delà des échanges sur sa maladie, sur le résultat des traitements, nous avons aussi évoqué ce qui avait donné sens à son existence, l’amour pour ses proches. Il a négocié avec nous son confort avec minutie, parlé du sommeil induit et de l’euthanasie, demandé à rencontrer un prêtre. Il y avait, bien sûr, sa demande de ne pas avoir mal quand il essayait de bouger un peu dans son lit, mais aussi, de plus en plus, son accueil des visites qui étaient des moments de complicité humaine, simplement. Avec l’envie de demeurer là, dans le silence de la communion. 

***

« Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi ».

 

5.   ISABELLE ARRIVE DANS NOTRE SERVICE

Récit

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Nicodème (celui qui la première fois était venu trouver Jésus pendant la nuit) vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent le corps de Jésus, et ils l’enveloppèrent d’un linceul, en employant les aromates selon la manière juive d’ensevelir les morts. Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore mis personne. Comme le sabbat des juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.

Regard

                        « Sa chambre est toujours ouverte »

Pendant la maladie, le corps souffre mille maux. Quand, enfin, il est possible de donner priorité au confort d’aujourd’hui plutôt qu’à une prolongation artificielle pour demain, le corps peut aussi rendre au patient un authentique bien-être.
Ce fut le cas pour Isabelle. Elle a 61 ans et arrive dans notre service avec un inconfort dû à une volumineuse tumeur. Veuve, avec une fille de 24 ans, elle est triste de devoir la laisser, mais elle est paisible. Sa confiance en Dieu et en ses frères et sœurs compagnons d’humanité, lui donne la grâce de la reconnaissance. Elle parvient à donner sens à chaque petite chose quotidienne. Sa chambre est toujours ouverte. Elle propose à qui passe de découvrir des fruits de sa chère Afrique. Elle accepte avec joie un bain qu’elle ne parvenait plus à prendre chez elle. Quand la kiné lui propose des massages à base d’huiles essentielles, elle accueille ce bien-être inespéré avec plaisir et, en quelques jours, retrouve un peu d’appétit.  Son corps se dépose. Il se détend. Elle peut attendre, dans l’espérance.

***

« Comme le sabbat des juifs allait commencer, et que le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus ».

Corinne van Oost
Vendredi Saint 2013