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Éditorial février 2014 : Réduisez les doses !

«  Vous êtes le sel de la terre »
(Matthieu 5, 13)

Nous consommons trop de sel ! Voilà des années que l’Organisation Mondiale de la Santé tire la sonnette d’alarme. L’excès de sodium est un facteur de risque cardiovasculaire largement démontré mais il provoque aussi, au fil des années, une diminution de la densité minérale osseuse et donc une aggravation de l’ostéoporose. D’où ce conseil de l’OMS : « Réduisez les doses ! Ne dépassez surtout pas six grammes par jour au grand maximum. »
Dans ces conditions-là, comment accueillir l’affirmation de Jésus qui semble encourager ses disciples à saler sans compter : « Vous êtes le sel de la terre ! »


MANGER DU SEL

Toute la Bible en témoigne, le sel joue un grand rôle dans la vie sociale des Hébreux. Pour donner goût, bien entendu, et conserver les aliments, mais pour accueillir aussi et consolider la stabilité. Chez les nomades, par exemple, on l’utilisait beaucoup lors d’un repas d’amitié afin d’exprimer la solidité de l’alliance. Et l’expression « partager le pain et le sel » ou même « manger le sel » indiquait l’hospitalité offerte à quelqu’un qui s’attachait ainsi à la maison.
Sur le plan religieux et surtout liturgique, le sel était aussi très employé, à tel point qu’au Temple de Jérusalem il  y avait un immense grenier à sel sans cesse réalimenté. Un sel que les prêtres jetaient sur toutes les offrandes (Lévitique 2, 13) et ajoutaient à l’encens parfumé comme en témoigne déjà le Livre de l’Exode (30, 35). Sans oublier que l’enfant nouveau-né est frotté de sel. L’initiation chrétienne s’inspirera longtemps de ce rite en déposant quelques grains de sel sur la langue du nouveau baptisé, avec cette formule : « Reçois le sel de la sagesse… »


SI LE SEL SE DESSALE

Sur la colline qui domine Capharnaüm, pas très loin de « la maison » où il est hébergé, Jésus vient d’offrir à ses disciples les fameuses « Béatitudes ». A neuf reprises, il leur dit : « Joyeux, vous ! Mais oui, soyez tout à la joie ! Un fameux salaire vous attend près de Dieu ! » Ce salaire, salarium, désigne initialement la ration de sel fournie aux soldats romains et deviendra l’argent de la solde pour acheter le sel. Sans transition, il enchaîne : « le sel de la terre, c’est vous ! »
Que comprennent-ils à ce moment-là ? Il leur suffit de voir, dans la vallée, les paysans en train de saler leurs champs, pour saisir que saler la terre, c’est la ranimer, la stimuler, comme il importe de saler l’herbe  pour faire boire les moutons. « Vous êtes le sel de la terre » n’a donc rien à voir avec une affirmation élitiste. Jésus ne leur dit pas qu’ils sont les meilleurs du monde ! Il emploie l’image du sel « de la terre » pour leur expliquer que ce bon sel bien sec en provenance de la montagne est nettement plus vivant que le sel « de la mer », celui de la mer Morte en particulier, abondant mais souvent moins salant à cause de l’eau et des pluies qui ne cessent de le laver.
« Si le sel se dessale, avec quoi le resaler ? » demande l’Évangile. Curieuse formule qui doit sans doute interroger les chimistes. Mais si on veut bien se rappeler que le sel ne sert pas qu’à conserver et à donner goût, qu’il brûle aussi (Mettez-donc du sel sur une plaie !) et ranime le feu qui s’éteint, alors on comprend mieux l’encouragement : « Allez-y ! Passionnez-vous ! Brûlez pour la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée. »
Mais attention ! « On ne sale pas sa vie une fois pour toutes » fait remarquer Gérard Bessière. C’est tous les jours qu’il faut saler un peu, sans excès. Pour que l’Évangile donne goût à l’existence des hommes, un bon conseil de l’OMS (Organisation Mondiale du Spirituel) : réduisez les doses !

Gabriel Ringlet

(10/02/2014)