Samedi Saint 2018 : François Troukens
ÉCHOS DE LA RENCONTRE
LE SOUFFLE DU SAMEDI
Le souffle du relèvement
Un Samedi Saint avec François Troukens
François Troukens est un artiste dans l’âme qui s’est perdu dans le grand banditisme durant 15 ans, avant de trouver sa voie dans le cinéma. Il a présenté au Prieuré son film Tueurs avant de raconter son itinéraire aventureux, sa descente dans l’enfer carcéral et sa renaissance par le biais de l’écriture et de la réalisation cinématographique.
"J'ai cru pouvoir passer à travers |
Son premier long métrage « Tueurs » s’inspire ouvertement des tueries du Brabant. François Troukens habitait à l’époque à côté d’un Delhaize qui a été le théâtre d’une de ces tueries. Il a entendu les coups de feu tirés sur ce parking qui était d’ordinaire son terrain de jeu. Plus tard en prison, il a entendu des choses sur l’affaire et il s’inspire des thèses de René Haquin pour écrire son scénario. Ce journaliste du Soir pensait que la sûreté de l’État et l’extrême droite étaient mêlées à cette affaire. Son film, très réussi, raconte comment on peut manipuler une enquête, créer des preuves et faire porter le chapeau d’un meurtre à des innocents.
François Troukens est l’aîné d’une famille de sept enfants. Sa maman était institutrice et son papa ingénieur agronome et chanteur lyrique à la Monnaie. Il reçoit une éducation un peu stricte. À la maison, pas de télévision ni de jouets en plastique. Ses parents se sont radicalisés dans le bio et il va à l’école Steiner. S’il est très heureux à l’école, il se sent parfois comme un extra-terrestre à l’extérieur.
Le décrochage scolaire est la porte |
Le jeune garçon manifeste un goût pour l’aventure dès le scoutisme. Il réussit ensuite ses examens pour entrer à la gendarmerie avant d’être engagé par une agence de gardes du corps. Lorsqu’un de ses patrons se retrouve en prison, il perd son emploi et a le sentiment que, sans tricher, il n’arrivera à rien dans la vie. Il trouve un job de détective d’hôtel, un cul-de-sac. Il se fait engager ensuite chez Securitas avec la volonté de mener un casse de l’intérieur. Ça marche, tout le monde croit qu’il s’est fait attaquer et il passe entre les mailles du filet… jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter.
En prison, il rencontre des bandits qui lui apprennent à devenir un grand braqueur, un vrai. La prison est une école du crime. Au bout de trois ans, à sa sortie, il monte une équipe de professionnels et prépare ses braquages comme on écrit un scénario, avec une précision millimétrée, un code d’honneur, la volonté de ne pas faire couler le sang et un certain sens du panache. « À l’époque, j’ai l’impression que la société est contre moi et j’ai le sentiment que j’ai le droit de prendre l’argent aux banques, qui étaient encore de plus grands bandits que moi. Je voulais vivre une grande aventure et je me regardais évoluer comme dans un roman. »
En prison, il étudie les lettres. Il laisse tomber |
Une cavale romanesque
Il disparaît ensuite dans une cavale aventureuse qui durera sept ans. C’est une période exaltante où il prend conscience du moment présent car tout peut s’arrêter à tout moment. La mort ou la prison sont peut-être au tournant. Mais c’est aussi une période angoissante. Pour réussir une cavale, il faut couper tout contact avec sa famille et ses amis.
Il fait croire qu’il est un scénariste, un artiste ou un écrivain, ça lui permet de passer inaperçu. Il monte même une maison d’édition. Un jour la maison qu’il loue à un conseiller de Raffarin est repérée par François Ozon pour y tourner une scène de film. Il accepte et en remerciement, il reçoit une invitation pour le Festival de Cannes. Alors qu’il est recherché par toutes les polices, il monte les marches à Cannes, sous les caméras du monde entier et à la barbe des policiers. Au-dessus des marches, il se retourne et se promet d’y revenir avec son propre film.
Et puis, le drame. Un jour qu’il est poursuivi par des hommes en civil, il se croit victime d’un guet-apens. Il se retourne et tire. Il blesse un policier à la jambe. C’est la première fois qu’il fait couler le sang. Tout bascule. Il a acquis de bons réflexes de tireur et il aurait pu le tuer. Il ne veut pas de ça. C’est à Paris qu’il est finalement arrêté après une course poursuite de trois heures.
Au cachot, il n’avait le droit qu’à trois livres : la Torah, le Coran et les Évangiles. Il les a lus tous les trois, par curiosité. Il y a trouvé de belles pages, des paraboles et des métaphores parfois très proches. Mais la religion lui a donné l’exemple en prison d’une radicalisation et d’une dérive sectaire.
À la prison de la Santé, il montre sa volonté de changer de vie, il étudie et il obtient une licence en lettres modernes, grâce aux profs de la Sorbonne qui viennent en prison. Quand il étudie, il se sent libre et heureux. En Belgique, il poursuivra des études de psychopédagogie et à Namur une formation de chef-cuisinier. C’est une façon pour lui de transformer le négatif en positif. Il a la chance de rencontrer des gens qui lui font confiance, comme la directrice de la prison de Namur. Il se montrera digne de cette confiance.
S’il a changé de vie, c’est parce que celle de braqueur ne lui permettait pas d’arriver à ce qu’il voulait être : un artiste, un auteur, un réalisateur. Ce ne fut pas douloureux pour lui de tourner la page puisque sa vie actuelle est tout aussi exaltante. Lorsqu’il est invité à la Mostra de Venise, il réussit le plus beau casse de sa vie.
Réconcilier les détenus et la société
Son expérience en prison lui permet de porter un regard critique et pertinent sur l’institution carcérale. Le taux de récidive est extrêmement élevé, signe que la prison ne fonctionne pas. Elle a pour but d’écarter les gens de la société, pas de les réinsérer. En prison, des jeunes rencontrent d’autres détenus plus dangereux qu’eux qui les affranchissent. Aujourd’hui, on se radicalise dans la haine de l’Occident, dans la haine de l’autre.
Or la prison devrait rendre le détenu meilleur. Il faudrait y éduquer les jeunes à vivre en société, leur donner les moyens d’acquérir un diplôme, un métier pour qu’à leur sortie, ils soient prêts à vivre dans la société. Or la prison fait tout le contraire, et elle aggrave la violence plutôt que d’en protéger la société. Des expériences menées en Suède montrent qu’il est possible de réconcilier les détenus avec la société. Il faut des peines qui permettent aux détenus de progresser, d’évoluer positivement.
François Troukens a aussi créé une association Chrysalibre dont le but est de faire entrer la culture en prison. Il collecte auprès des éditeurs et des producteurs des livres et films récents. C’est une façon de faire entrer l’actualité culturelle et de faire sentir aux prisonniers qu’ils ne sont pas les oubliés de la société. Donner des livres à la prison, c’est tendre une main, c’est ouvrir une fenêtre sur la beauté et la liberté. C’est aussi un encouragement à lire. Le décrochage scolaire est la porte qui conduit à la prison. La culture peut être un moyen de raccrocher les détenus à la société.
Article sur le film à lire dans « L’appel ». Cliquez sur le lien suivant : https://magazine-appel.be/IMG/pdf/32-33-34.pdf
Le plus beau casse de sa vie. |
Interview : Gabriel Ringlet Texte : Jean Bauwin Photos : Bruno Rotival (31/03/2018) |
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