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Samedi du Prieuré : Sylvie Germain (16/01/16)

SAMEDI DU PRIEURÉ : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Sylvie Germain : Dans le feu du buisson ou dans la brise légère ?

 

Sylvie Germain qui vient de publier son dernier roman, À la table des hommes, chez Albin Michel, a posé ses valises au Prieuré ce samedi 16 janvier 2016. Elle a évoqué pour nous ce qui est au cœur de son interrogation littéraire et philosophique : la place de Dieu dans le monde, cet Inconnu à la voix de fin silence.

La fascination de Sylvie Germain pour les mots remonte à sa plus tendre enfance. À l’école primaire, elle testait déjà, dans ses rédactions, les mots qu’elle avait glanés, mais dont elle ignorait le sens. « Souvent, j’étais à côté de la plaque », dit-elle en souriant. Depuis, elle s’est passionnée pour les dictionnaires. Quand un mot lui vient et qu’elle n’est pas sûre de sa signification, elle plonge dans le dictionnaire et se délecte de l’étymologie du mot, cet arbre généalogique qui en retrace la mémoire. Elle ne recherche pas les mots rares ni les mots vieillis, mais quand ils surgissent elle s’autorise à les utiliser, pour ne pas précipiter leur mort. Le poète est celui qui extirpe des mots une force qu’ils n’ont pas dans le langage courant.

Alors que, depuis sa toute petite enfance, elle avait toujours voulu faire les Beaux-arts, elle change d’orientation à la suite d’une dissertation qui lui est imposée en terminale : « Si Dieu n’existe pas, tout est-il permis ? » (Dostoïevski) Quarante-cinq ans plus tard, elle n’a toujours pas la réponse. Mais elle comprend à ce moment-là que si la philosophie consiste à se poser des questions essentielles, dont on n’a jamais fini de chercher la réponse, cela vaut la peine d’y consacrer sa vie.

Si la douleur du monde – ou le mal dans le monde – traverse toute son œuvre, c’est parce qu’elle découvre dans les années 70 l’étendue de l’horreur qu’a été la seconde guerre mondiale. C’est à cette époque qu’on a commencé à écouter les rescapés et à oser parler des horreurs commises par les nazis. Comment le peuple allemand qui était si cultivé, a-t-il pu verser dans tant de cruauté et de barbarie ? Depuis lors, cette question n’a cessé de se poser avec la guerre en ex-Yougoslavie, au Rwanda et aujourd’hui avec Daesh.

Elle n’aime pas beaucoup le qualificatif de sensible qu’un journaliste lui a collé. Elle se méfie de la sensiblerie, cette hypersensibilité des écorchés vifs, qui se sentent agressés et qui s’autorisent à agresser les autres. Par contre, elle veut rester sensible, c’est-à-dire à l’écoute du monde, dans un état de veille et de vigilance, sensible aussi à un questionnement.

L’accueil des réfugiés peut ainsi être une chance : « On reçoit beaucoup des gens qui n’ont plus rien à donner, dit-elle. Ce que l’on reçoit, on ne peut pas le définir, le langage ne suffit pas pour le dire. En fait, on reçoit en humanité. »


Nouveau-né, nouveau-mort

Dans Un monde sans vous, elle écrit : « Un vivant s’en va, et on ne sait pas où. » Peut-être vers plus de vie ? Elle n’en sait rien. Certains s’enivrent et s’aveuglent de phénomènes paranormaux, mais Sylvie Germain se méfie de ces signes spectaculaires. « Plus un signe est discret, plus il est authentique, pense-t-elle. Les gens qui sont morts nous habitent. On a parfois l’impression qu’ils nous font signe dans un souffle. »

Personne ne pénètre le mystère de la mort, même si certains mystiques ne la redoutent pas, persuadés qu’ils sont de voir Dieu à l’heure de leur mort. C’est Hildegarde de Bingen qui disait « Je suis ardée par l’ardeur de l’ardent. » « Moi, je n’en sais rien et n’ai pas envie de savoir, affirme Sylvie Germain, je tourne autour de la mort sans avoir rien à dire sur elle. »

Il en va de même pour l’existence de Dieu. À la révélation spectaculaire de Dieu à Moïse dans le buisson ardent, elle préfère celle, toute discrète, qui est faite à Elie, dans le Livre des Rois au chapitre 19.

« À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. »

Dieu se révèle à Elie dans cette voix de fin silence. (Elle préfère cette traduction à la brise légère.) Dieu n’a rien de violent, de spectaculaire, on ne peut pas l’emprisonner, ni dans un tabernacle, ni dans une définition. Dieu est cet éternel inconnu qu’on ne peut enfermer dans le langage. Face à lui, on ne peut rester qu’au seuil de ces questions, dans l’intuition et l’étonnement. Et si Dieu reste inconnu, Jésus demeure pour elle un mystère, comme un cratère autour duquel elle ne cesse de rôder. « J’attends l’éruption... », dit-elle. Et si la personne du Christ peut faire l’objet de débats, elle ne supporte pas le crachat, le mépris et le ricanement de certains qui caricaturent Jésus et les Évangiles à partir de vieux a priori. Jésus ne juge jamais, il laisse les gens dans une grande liberté, il ouvre un chemin de délivrance et donne aux femmes une place inouïe et révolutionnaire pour son époque. Aussi, avec Christian de Chergé, elle s’interroge sur le sens de l’Islam dans le dessein de Dieu. Si Dieu il y a, pourquoi cette nouvelle révélation qui prend d’autres options ?


Le Dieu de l’absence positive

Sylvie Germain aime beaucoup les récits hassidiques et plus largement les différentes traditions mystiques, qu’elles soient juives, chrétiennes ou soufies, qui se rejoignent au fond sur l’essentiel : l’humain doit se désencombrer, se vider de lui-même pour accueillir cette présence indéfinissable qui est celle de Dieu. Quand Dieu crée le monde, le monde est plein de lui. Il doit donc se retirer pour laisser place à la vie. Et en se retirant, il se dépouille de sa toute-puissance et laisse des traces de lui. « Si on reste dans le plein, on risque de devenir imperméable à l’imprévu », ajoute-t-elle.

Son dernier livre, À la table des hommes, met en scène une corneille chamane. Sylvie Germain se dit très intéressée intellectuellement par le chamanisme, sibérien en particulier. Le respect et la vie en bonne intelligence avec les mondes animal, végétal et minéral, n’est pas incompatible avec le christianisme. Il s’agit d’être dans le respect du vivant sous toutes ses formes. Son roman raconte une étrange métamorphose : de l’étreinte entre un jeune garçon et un porcelet, tous les deux aux portes de la mort, surgit un enfant-sauvage à la mémoire animale. Elle le suit à travers son chemin d’humanisation. Notre chemin.

 

Jean BAUWIN
(16/01/2016)

Illustrations : Patrick Verhaegen

 

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