Éditorial juin 2014 : Il leur souffla dessus

«  Recevez l’Esprit Saint »
( Jean 20, 22)

 

 

Quelle journée ! Depuis trois jours les voilà barricadés dans cette chambre à l’étage où ils avaient partagé le dernier repas. Ils ont fermé les vantaux à double tour, convaincus que la persécution va continuer. On peut les imaginer sur les trois banquettes autour de la table en U, habités par l’angoisse et sursautant au plus petit bruit. Ils ont si peur et ils parlent si bas qu’on entendait même « les vers ronger les poutres » écrit Jean Grosjean.

Si encore il y avait un combat à poursuivre, cela vaudrait la peine de résister, de s’encourager et de prendre des risques. Mais quel combat ? Ne sont-ils pas les derniers témoins d’une histoire qui s’est terminée de façon lamentable ? Les grands prêtres, leurs seuls ennemis, tout heureux d’avoir eu la peau de Jésus, attendent qu’ils sortent du trou. Le chef de bande rayé de la carte, ils leur restent à faire condamner la petite poignée de ses comparses.

LE SOUFFLE COUPÉ

On aurait pu imaginer qu’ils allaient se serrer les coudes dans le malheur en le rendant ainsi un peu plus facile à supporter. Au lieu de cela, comme souvent après un échec, les vieilles rancunes refont surface et chacun y va de son interprétation, convaincu que si « l’autre » avait mieux agi, on n’en serait pas arrivé là.
Pourtant, le matin, un événement assez surprenant était venu secouer la litanie de leurs regrets. Dans un premier temps, l’angoisse avait encore grimpé d’un cran quand ils entendirent grincer l’escalier. Oh, très peu. Quelqu’un, manifestement, montait à pas de loup. A un moment, c’est sûr, la personne était derrière la porte. Le souffle coupé, ils entendaient sa respiration. Elle a caressé le bois du bout des ongles, très doucement, et prononcé un mot. Le mot de passe ! Soulagés, ils ont reconnu Marie-Madeleine, et l’ont laissée entrer.
Mais qu’est-ce qu’elle racontait là ! Que la tombe était vide et que Jésus lui avait parlé. On imagine la stupeur. L’incrédulité aussi. Et les discussions à n’en pas finir tout au long de l’après-midi, entre espoir fou et méfiance radicale. Ce n’est que Marie-Madeleine après tout… On sait comme la souffrance peut parfois faire naître l’hallucination.


SA PROPRE RESPIRATION

Tout à coup le voilà au milieu d’eux, comme ça, sans escalier et sans mot de passe, la porte toujours fermée à double battant.
« Bonsoir » dit Jésus. Je suppose qu’il a dit bonsoir. « La paix soit avec vous », « Shalôm aléikhèm ». Il les salue à la manière hébraïque, évidemment, appelant sur eux la plénitude. D’un coup. Sans transition. Alors qu’ils sont dans le trente-sixième dessous. Je me dis qu’il a dû les réapprivoiser, doucement, délicatement, avant qu’ils retrouvent leurs esprits et soient « remplis de joie ». Car eux aussi devaient sortir du tombeau.
Après leur avoir parlé, « il répandit sur eux son souffle » dit la traduction liturgique. Plus déterminé, Grosjean pense qu’ « Il leur souffla dessus », comme s’il fallait les réveiller. Nous revoilà en tout cas au début du monde. Jésus transforme la chambre haute en jardin de Genèse, là où il est écrit que « le Seigneur Dieu insuffla dans ses narines l’haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 7).
Quelle journée ! Il y a trois jours, Jésus expirait sur la croix et voilà qu’au soir du troisième jour, il leur partage sa propre respiration, comme s’il voulait recréer l’homme, le remodeler et, avec eux, redessiner l’histoire. Il revient au commencement et leur souffle dessus pour qu’eux aussi traversent la mort. Un Souffle d’audace et d’imagination qui leur permettra d’accueillir la résurrection comme une insurrection. Et une re-création.

                                                                        Gabriel Ringlet
Juin 2014