Le Prieuré - Lettre du Temps ordinaire N°1 - 28 janvier 2021

Lettre N°1 - 28 janvier 2021 
 
 

 LA LETTRE DU TEMPS ORDINAIRE

 

210120

Le temps de l'ordinaire.

ÉDITO


* Lettre du « Temps ordinaire »

En période de grande épidémie, les mots « temps ordinaire » racontent l’espérance d’un temps d’avant, d’un temps normal qui verrait la quasi disparition du virus, du stress qui l’accompagne et la renaissance des retrouvailles avec famille, amis et collègues de travail.
Ce long voyage en temps « extraordinaire » nous aura très certainement marqués plus que nous le pensons aujourd’hui : notre regard sur les choses de la vie sera autre, notre échelle de valeurs verra des échelons disparaître et d’autres s’ajouter, notre relation à la mort sera plus apprivoisée alors que notre société tente de la « cacher » comme si elle n’existait pas, nos centres d’intérêt et nos engagements ont été décentrés ou mis sous visioconférence…
Pour faire face à ce séisme, nous avons dû nous réinventer, notamment au plan de la communication.
Faute de présentiel, le courriel a pris le dessus… nous nous écrivons beaucoup.
C’est pourquoi le Prieuré s’est lancé dans la diffusion de « Lettres » : celles du temps du Carême et du temps de l’Avent en 2020 et maintenant celle du « Temps ordinaire », en ce début 2021.
Car le temps ordinaire c’est aussi un temps « liturgique » qui nous guide de Noël à Pâques.
En janvier et février, nous aurons 2 lettres qui seront des cousines de celles de l’Avent avec des « Petites et grandes nouvelles » du Prieuré, des textes à lire et à relire et une rubrique « Autour de la célébration ».
Ensuite, grande nouveauté, nous lancerons, à l’occasion de la Semaine Sainte, la « Lettre du Prieuré » qui paraîtra 6 à 8 fois par an.
Cette lettre est actuellement en pleine gestation graphique et comportera en règle générale un dossier sur un thème parfois lié à celui des « Samedis du Prieuré » ; une partie consacrée à la « Vie au Prieuré » et une autre, aux nouvelles et à l’agenda.
Nous espérons que la naissance de cette « Lettre du Prieuré » s’accompagnera, à 2 ou 3 mois près, d’une renaissance du Prieuré aux couleurs du temps ordinaire avec la relance des « Samedis » et des différents groupes ainsi que l’ouverture des Écoles des Rites et du Prendre soin, tout ce qui « fait » l’esprit du Prieuré.
Nous sommes et serons heureux de vous écrire « de temps en temps ».

Patrick Tyteca

PETITES ET GRANDES NOUVELLES


* Les voeux de la communauté de Bose

Voici les voeux qu'adresse frère Norberto à Gabriel. Ils nous concernent toutes et tous. Nous avons plaisir à vous les partager.

Cher Gabriel !
C’est très important pour nous d’avoir des liens avec des réalités comme celle du Prieuré. Vous êtes une communauté de partage et de soin réciproque que nous inspire beaucoup. La vie monastique traditionnelle nous a appris mainte des choses mais notre spécificité nous permet d’explorer aussi d’autres dimensions et difficultés que la via contemporaine impose et que tout le monde a de la peine à résoudre ; tous nos hôtes confient sur notre capacité d’accueil et d’écoute des différentes formes des souffrances dû à l’érosion des valeurs et d’espoir qu’il faut gérer dans la vie de toujours.
Merci de nous soutenir avec votre prière !!!
Norberto.


* Communauté de Clerlande

Beaucoup d’entre vous gardent encore vive mémoire de notre ami Jean-Yves Quellec, l’ancien prieur de Clerlande, décédé en novembre 2016.
Avec le consentement de Jean-Yves, une de ses proches, Wivine de Vuyst, a rassemblé ses Causeries à la communauté[1], des commentaires de la règle de St Benoît qu’il proposait chaque semaine à ses frères lors du chapitre hebdomadaire.
On pourrait croire ce livre très spécialisé et adressé en priorité aux moines et moniales d’aujourd’hui. Oui, pour partie. Mais l’agréable surprise, c’est que Jean-Yves, avec son style si personnel, rejoint l’actualité et rend les propos de Benoît très contemporains. Ici ou là, chacune, chacun peut se sentir rejoint par des causeries vivantes et porteuses d’un souffle spirituel stimulant. Merci à Wivine de Vuyst de les mettre à la portée d’un public élargi.

[1] J-Y. Quellec, Causeries à la communauté. Commentaires de la Règle de Saint Benoît, Publications de Saint-André, Cahiers de Clerlande n°14.

* Mercredi des Cendres

Pour des raisons covidiennes, il ne nous sera pas possible de célébrer le Mercredi des Cendres (17 février) en présentiel.
C’est donc par une lettre du « Temps ordinaire » que nous vous rejoindrons, lettre qui sera diffusée le jeudi 11 février.
Nous tenterons de vous faire vivre au travers de l’ « écrit » tout ce que nous avons préparé pour la « parole » récitée ou chantée.
Avec tous nos regrets mais dans l’espoir d’un « après » libéré.

TEXTES À LIRE ET À RELIRE


* À propos des catholiques

« Faire comme avant »

Je me sens partie prenante de la vie de l'Église mais, comme dominicain, mon expérience pastorale est réduite : je serais bien mal placé pour faire la leçon à des curés de paroisse ! Cette perspective de long terme me conduit seulement à constater qu'il va nous falloir repenser de fond en comble les formes de notre vie paroissiale. Alors que l'érosion de la pratique dominicale est un phénomène déjà ancien, mais profond, l'épidémie a encore fragilisé la messe du dimanche, et les confinements ont posé bien des questions sur notre rapport aux sacrements. Il sera difficile de se contenter de faire comme avant !

« Des cadres de pensée adaptés »

En plus de la crise sanitaire, du terrorisme, nous sommes en train de comprendre que, comme catholiques, nous sommes minoritaires en France, et ce n'est pas une mince affaire. Tout au long du XXe siècle, nous avons repensé notre rapport à la société, acceptant qu'elle ne soit pas structurée par la foi catholique ; mais dans cette société, nous restions largement majoritaires.
Notre théologie et notre spiritualité sont imprégnées de cet ancien état majoritaire. La spiritualité de l'enfouissement, incarnée par Charles de Foucauld et Thérèse de Lisieux, si influents sur le catholicisme français du XXe siècle, a été pensée dans ce contexte majoritaire. Or tout a changé : qui peut comprendre aujourd'hui, par exemple, de quoi un prêtre-ouvrier est le signe ? Même le concile Vatican II est imprégné de cet ancien contexte majoritaire.
Une partie de notre drame actuel vient du fait que nous n'avons pas encore les cadres de pensée adaptés pour notre nouvelle situation. Les seuls catholiques qui sont à l'aise avec elles sont ceux qui se sont toujours pensés comme minoritaires, les milieux traditionnalistes.

« Une situation minoritaire »

Ce n'est pas tout à fait la première fois que nous faisons l'expérience, même en Occident, de cette situation minoritaire dans une société pluraliste. Jusqu'à la fin du IVe siècle, les chrétiens ne sont qu'un élément de la société antique. Relisons donc les textes dans lesquels les chrétiens pensaient leur place dans cette société, à commencer par la lettre à Diognète. Un auteur chrétien anonyme de la fin du IIe siècle y explique que les chrétiens ne doivent pas chercher à former un peuple à part, avec ses lois et ses coutumes propres, à l'écart du monde, mais qu'ils doivent être pour le monde ce que l'âme est pour le corps. Être l'âme du monde d'aujourd'hui, ce n'est pas une petite mission !

Extraits d'une interview d'Adrien Candiard, dominicain français
(La Croix L'Hebdo du 18 décembre 2020)


* À propos de la pandémie

Pandémie et dévoilement

La pandémie a fonctionné comme un dévoilement. Dévoilement de nos fragilités personnelles, d'abord : nous fuyons et refoulons au quotidien la réalité de la maladie et de la mort, et toutes deux se sont dramatiquement rappelées à nous ces derniers mois. Cette crise sanitaire nous a aussi rappelé nos fragilités collectives : notre société est en pleine mutation − économiquement et socialement − et si l'on voit bien à quoi ressemblait l'ancien monde, le nouveau peine encore à se dessiner. Tout cela, c'est inévitable, participe d'un certain désarroi.
Mais voyons aussi le revers lumineux de la médaille : la crise nous a rappelé ce qu'on était prêt à faire pour le collectif. À défaut de pouvoir aider leurs proches qui vivaient loin, nombre de nos concitoyens ont choisi d'aider ceux qui leur étaient physiquement accessibles : voisins, collègues, etc. L'adversité pousse à l'altruisme... là où le confort facilite trop souvent l'égoïsme. Le réflexe, face à la catastrophe, est avant tout l'entraide et la solidarité, beaucoup plus que les pillages et les émeutes. Malheureusement, les journaux télévisés ne nous montrent trop souvent que les seconds. Dans ce contexte, et plus largement d'ailleurs, il me semble urgent de repenser notre consommation d'informations.

Pandémie et communication

Le cerveau humain est irrésistiblement attiré par les informations négatives. Cela tient aux règles mêmes de l'évolution : être prioritairement attentifs aux dangers, c'est que qui nous a permis de survivre ! Nous sommes donc « cablés » pour diriger notre attention vers le danger. Sauf que consommer des informations négatives à longueur de journée − via les réseaux sociaux et les chaînes d'info − s'avère extrêmement anxiogène. Et pour cause, nous sommes totalement impuissants face à nos écrans ; notre angoisse n'est donc pas soluble dans l'action. Là encore, redevenons acteur et cessons de subir : ce n'est pas parce que l'information est disponible en continu qu'il faut la consommer en continu ! Une ou deux fois par jour suffisent, et dans la limite de quinze ou trente minutes. Parallèlement, veillons à rééquilibrer ces émotions négatives en cultivant les positives : la tolérance, la confiance, la bienveillance, l'altruisme, etc.

Interview de Christophe André, psychiatre
(La Croix L'Hebdo - décembre 2020)


* Changer le monde

Qu'est ce qui vous fait espérer qu'après les temps difficiles nous attendent les jours meilleurs ?

Les progrès réalisés ces trente dernières années en matière de lutte contre la pauvreté démontrent que, malgré les guerres, les difficultés politiques, l'humanité peut aller dans le bon sens si l'on se mobilise sur ces sujets. Au début de la crise du coronavirus, je lisais avec les enfants Dog Man, une BD américaine de Dav Pilkey qui sous des airs de comics sans prétention, soulève des vraies questions sur l'éthique, la bonne manière de se comporter, le bien et le mal.
Juste avant la fin du livre, Flippy, un poisson bionique qui, au départ, avait un caractère méchant mais s'était rallié aux héros au cours de l'histoire, décide de devenir le père adoptif de vingt têtards qui ont perdu leur mère. Le copain de ce poisson, un petit chat, dit à son père : "Tu vois, finalement, Flippy est une bonne personne, il est en train de changer le monde." "De changer le monde ? N'exagérons rien, réplique le père. Il ne s'occupe que d'une vingtaine de têtards." "Oui, mais pour ces vingt têtards, le monde va changer" répond le petit chat. Voilà... il y a toujours quelque chose à faire pour changer le monde.

Esther Duflo, économiste, prix Nobel d'économie (2019)
(La Croix L'Hebdo du 2 janvier 2021)


* Des raisons d'espérer

Claquemurés dans nos vies depuis près d'un an, nous sommes tous, toutes à bout. À bout. Il n'est plus possible d'ouvrir un journal, d'écouter la radio ou la télévision sans être envahis d'informations alarmistes. Les prophètes de malheur sont à la fête. Tel est le paradoxe : nous sommes à la recherche de nouvelles sur le virus, la manière de s'en protéger, de se soigner. En même temps, ce trop-plein de textes, de sons et d'images noires plombe nos vies.
Nous ne sommes pas égaux devant la maladie. Ceux qui vivent dans des conditions précaires éprouvent des difficultés plus grandes encore. Les aînés souffrent en silence, certains glissent dans l'au-delà, lassés d'une fin de vie sans passion. Les jeunes sont privés de leur jeunesse : amitiés, amours, sorties. Tout nous manque : les baisers, les touchers, les déjeuners, les dîners en famille, entre amis, les voyages, les projets.
Qu'il était bon le temps d'avant.
Mais broyer ce noir, c'est sans espoir.
Essayons, ne fût-ce qu'un instant, de relever la tête. Et sans nier l'état de nos États, voyons, dans notre quotidien, ce qui va bien :
- aucun vaccin n'a jamais été aussi rapidement mis au point ;
- huit belges sur dix se feront vacciner ;
-
le virus mute ? Tous les virus mutent et les vaccins sont armés même pour les mutants ;
- nous allons bientôt revivre, ivres de notre liberté retrouvée ;
- ces coiffeurs et coiffeuses, que l'on pleure, comme on va les aimer ;
- ces restaurateurs, plus jamais, promis, on ne se plaindra de leur lenteur ;
- comme dans la vie, lorsque notre moral est dans les talons, la renaissance n'en sera que plus ardente ;
- profitons des derniers mois de confinement pour nous tourner vers les autres, il y a, pas loin, un homme, une femme, un enfant, un adolescent à entourer, à choyer ;
- ce virus nous aura finalement aidés à retrouver ce que nous perdions, petit à petit : notre humanité ;
- répétons en boucle cette phrase du poète georgien Chota Roustavéli : « Ce que tu donnes t'appartient, ce que tu détiens est perdu ».

Francis Van de Woestyne, journaliste
(La Libre Belgique du 14 janvier 2021)


* Espèce d'acolyte

Il y a quelques jours le pape François a décrété que désormais les laïcs, et les femmes spécialement, pouvaient être lectrices et acolytes, des termes bien étranges et décalés. Et pourtant.
Une sœur aînée de ma communauté réagit et me raconte à nouveau une souffrance, une douleur mêlée d’un sentiment persistant d’injustice et de bêtise. Quand elle était enfant, plutôt dans les beaux quartiers de la capitale, les filles étaient empêchées d’être enfants de chœur, car impures. Interdites donc de servir à l’autel, fonction des acolytes.
Et sa colère est intacte en voyant la pratique implicite qui s’est installée dans certaines paroisses et qui, à nouveau, ramènent les filles aux portes de l’église, donnant les feuilles de chants par exemple, ou pour faire la quête…
Les filles seraient-elles donc inaptes, comme les publicains et autres collecteurs d’impôts d’hier, aux tâches dites nobles, proches du sacré, mais bien utiles pour tenir la maison ?
Pardonnez mon ironie peut-être, mais tout cela rend si triste. Car comment une telle hérésie est-elle possible ?
La crainte de l’impur, de la souillure, est présente en toute culture, de façon bien archaïque. Elle aura été cause de tant de tragédies individuelles et collectives.
En notre terrible XXe avec ses millions de victimes juives, tsiganes, homosexuelles, toutes impures.  Déjà au XVIe par exemple, avec l’arrivée des Espagnols aux « Amériques ».
En 1549, un arrêté royal interdit aux Espagnols de prendre des femmes indiennes comme épouse ou comme concubine.
Si le métissage bien heureusement se répand pourtant, les mesures ne cessent de se durcir au point qu’en 1781, l’Espagne exige un certificat de pureté de sang pour mariage, entrée à l’université, ordination des prêtres.
La pureté est l’éloge du séparé et le texte biblique est le témoin éblouissant de la conversion de l’impur sexuel ou du sang au profit du cœur pur.
Je repense à cet épisode dans l’Évangile de Marc (5, 21-43), que nous pourrions nommer « le sang perdu et la vie retrouvée ».
Une rencontre improbable, celle de Jésus avec une femme impure, presque par naissance, tant ses pertes de sang remontent loin.
Elle a enfreint les règles de pureté légale pour approcher Jésus dans cette foule, et pire, toucher son vêtement.
Et la voilà pourtant, envers et contre les hommes présents, engendrée : « ma fille », lui dit-il, « ta foi t’a sauvée ».
Elle est désormais de la famille de Jésus : de celles et ceux qui écoutent sa parole et essaient de la mettre en pratique.
Alors, oui, pouvoir devenir lectrice a de quoi faire sourire, jaune même.
Mais ouvrir enfin des ministères institués, qui viennent de loin dans l’Église, cela est bien tard, mais c’est un vrai pas contre de l’obscurantisme toujours vivant, contre un naturalisme antiévangélique. Alors merci !

Véronique Margron op.

 

AUTOUR DE LA CÉLÉBRATION

4e dimanche du Temps ordinaire – 31 janvier 2021

 

210123

 

Ils récitent leur leçon comme des perroquets.
(Gabriel Ringlet)

* Le dicton

Janvier rigoureux
An très heureux.


* Le proverbe (de la chandeleur)

La première crêpe
est toujours manquée.

(Proverbe russe)

 
* La pensée

Dieu s’appuie sur toi
pour t’aider.

(Burundi)


* Le verset

« Il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » (Marc 1, 22)


* Le commentaire

Avec autorité. Pas comme les petits chefs, les scribes et les démons qui ne font que réciter par cœur (...) Jésus prend la responsabilité de ce qu’il dit, il s’engage dans sa Parole. (Jean Debruynne)

Ce qui frappe l’auditoire de Capharnaüm, c’est d’abord l’accent personnel du jeune rabbi. Quelle différence avec l’enseignement figé des scribes ! Ces gens-là transformaient les textes inspirés en rébus ou en charades à tiroir. (Amédée Brunot)

Quand quelqu’un parle en homme à des hommes on l’écoute. (Yacinthe Vulliez)

Ce n’est pas vrai qu’on fait autorité parce qu’on est intelligent, parce qu’on connaît beaucoup de choses, parce qu’on sait parler, parce qu’on a des certificats. Je connais des gens simples qui n’ont pas de diplômes, pas d’éloquence et qui font autorité parce qu’ils parlent leur propre parole. Peu importe alors qu’elle soit balbutiante. Et je connais des gens couverts de titres, pour qui je n’aurai jamais le moindre respect, la moindre obéissance, parce que leur parole est empruntée, parce qu’ils l’ont volée, parce qu’ils récitent leur leçon comme des perroquets. (Gabriel Ringlet)


* Le poème

HOMME

Ne décline pas de nom
Pedigree
Et curriculum vitae
Ton pays
Ta race
Tes convictions
Tes goûts et tes malheurs
Si tu oses me dire
Que tu es un homme
Viens t’asseoir
Près de mon cœur
Tout à droite

(Malik Fall)


* La prière

Tu ne fuis pas le mal,
mais tu nous confies le monde en souffrance.
Seigneur, fais grandir en nous ton autorité.
Tu ne détiens pas de pouvoir secret,
mais tu désenchaînes les gens qui viennent te trouver.
Seigneur, fais grandir en nous ton autorité.
Tu ne guéris pas par magie,
mais tu libères ceux qui étaient devenus étrangers à eux-mêmes.
Seigneur, fais grandir en nous ton autorité.

 

TÉMOIN : VÉRONIQUE MARGRON - Une présence à la vie bouleversée

Le Prieuré se réjouissait beaucoup d’accueillir Véronique Margron, mais une fois de plus la situation sanitaire en a décidé autrement et nous oblige à reporter le Samedi 30 janvier.

Pour que Véronique, si attentive à la vie bouleversée, nous rejoigne à travers cette « Lettre », vous trouverez, ci-après, trois éléments de présence qui nous la rendront aussi proche que possible : un bref portrait, quelques extraits de la préface au livre que Corinne van Oost a consacré à l’euthanasie et une présentation – brève ! – des « Douze travaux » auxquels l’Église devrait s’atteler de toutes ses forces car il y a urgence, pour elle, à « changer de style ».


* Une théologienne engagée

Véronique Margron, sœur dominicaine de la présentation, théologienne moraliste. Professeur à la faculté de théologie de l’université catholique de l’Ouest, doyen honoraire. Formée à l’Institut Catholique de Paris, spécialement par le salésien Xavier Thévenot. Elle a une longue pratique d’accueil de personnes en souffrance, héritée aussi de son premier métier auprès de jeunes délinquants ou de jeunes en danger à la protection judiciaire de la jeunesse. Théologienne et éthicienne, elle a reçu depuis bien des années des personnes victimes d’abus et d’agressions sexuelles. Titulaire d’un doctorat «  Soutenir la vie bouleversée », et plus spécialement  d’une thèse sur « le sentiment de solitude ». Élue prieure provinciale de France en 2013 puis 2019, elle est aussi présidente de la conférence des religieuses et religieux de France depuis 2016.

 

 210124

Face à la mort, nous sommes toujours des enfants.
(Olivier Abel)


* Éthique de la détresse, éthique de la promesse

Dans la préface du livre de Corinne van Oost, Médecin catholique, pourquoi je pratique l’euthanasie (Presses de la Renaissance), Véronique Margron ouvre sa réflexion par une remarquable citation d’Olivier Abel, d’une si grande justesse : « face à la mort, nous sommes toujours des enfants. »

Voici quelques mots glanés dans cette préface :

  • En ce lieu universel et toujours singulier qu’est l’imminence de la mort de l’autre, consentir à se confronter au mal.
  • Ces pages nous invitent – nous obligent peut-être – à mettre en place une éthique plus interrogative que prescriptive.
  • Le travail éthique, duquel cet ouvrage participe, doit consister avant tout à mieux formuler nos dilemmes. À dire nos inquiétudes tout en cherchant à prendre un peu de distance avec le trop de passion qui anime souvent nos échanges, nous empêchant même de considérer l’autre comme un partenaire légitime. Nous ne pouvons faire de procès d’intention ni aux uns ni aux autres.
  • ⌈Quelles que soient nos divergences d’approche⌉, une même interrogation doit nous habiter : comment nos sociétés européennes peuvent-elles devenir capables de proposer une façon de vieillir reposant sur une confiance commune ?
  • Entre éthique de détresse et éthique de promesse, il reste un chemin à parcourir. Car il est une promesse indispensable que nous devons pouvoir tenir : « Que chacun, jusqu’au bout, se sente approuvé, soutenu dans son désir d’exister, jusqu’au point de pouvoir, à son tour, reporter son désir de vivre sur les autres[1]. »

[1] Paul Ricoeur, Vivant jusqu’à la mort, préface d’Olivier Abel, Seuil, 2007 (édition posthume).


 210122

Finie cette autorité de l'« homme fort ».
(Véronique Margron)

* Les douze « travaux d'Hercule » de l'Église

Dans son livre Un moment de vérité (Albin Michel, 2019), Véronique Margron s’engage – et pas peu – dans une critique radicale des abus sexuels dans l’Église catholique. Elle est en droit de le faire puisque, depuis des décennies, elle reçoit et écoute des victimes d’abus de toutes sortes et, notamment, d’agressions sexuelles. Comme théologienne spécialisée dans les questions éthiques et comme présidente de la conférence des religieuses et des religieux de France, elle a porté le fer au feu de ce drame en obligeant les communautés religieuses à entendre les victimes et à prendre cette question dramatique à bras-le-corps. Mais comme elle le dit avec une sereine détermination, « Je me suis décidée à écrire non pour enfoncer le glaive plus avant dans l’Église, mais pour proposer des voies afin de sortir de ce désastre ». Il ne suffit pas, dit-elle, de constater la gravité d’un dysfonctionnement. Il faut encore déceler, dans ce qui structure l’Église, jusque dans ses fondements spirituels, les racines de ce mal. D’où l’idée originale de proposer, à l’image des douze travaux d’Hercule, les « Douze travaux » de l’Église.

Nous n’allons pas détailler ici ces douze chantiers (voir le développement dans les pages 137 à 164 du livre) mais simplement les citer avec quelques phrases de commentaire en sachant, comme le dit le théologien Christoph Théobald, que le christianisme – et l’Église en particulier – doivent choisir « un style qui offre un goût de vivre à tous, prend soin et honore les plus fragiles ».

  • La première obligation de l’Église : mettre les victimes au centre

Celles qui ont parlé et celles qui n’ont pas encore parlé, car une parole « enfouie, figée, étouffée peut mettre dix, vingt, trente voire quarante ans avant de trouver le chemin des mots ».

  • Le deuxième des Douze travaux : désacraliser la figure du prêtre

L’Église ayant perdu, depuis le XIXe siècle, son pouvoir politique, elle a tenté de renforcer son autorité dans la sphère privée. Contrôler la sexualité est devenu son obsession. Et du coup, « au nom du sacré, les clercs doivent contrôler le corps des femmes ». Mais c’est fini ! La famille a lâché l’Église. Et ce « faux sacré » du prêtre se trouve en pleine déconfiture. C’est sur ce faux sacré que se construit la pédocriminalité.

  • La troisième tâche : déconstruire le système clérical

Il faut inventer une autre manière de faire Église et donner tout son sens au sacerdoce commun des baptisés.
Finie cette autorité solitaire, celle de l’« homme fort » dont tant de prédateurs ont usé. Quitter le cléricalisme, c’est retrouver une autorité plurielle.

  • Le quatrième chantier : promouvoir la place des femmes

Attaquer le cléricalisme ne se fera pas sans les femmes, à tous les postes de responsabilité. Il est fini le temps où le modèle de la femme était, à partir d’une interprétation erronée de Marie, « un féminin centré sur l’intériorité ».

  • Cinquième enjeu : transformer la crise en mutation

C’est toute l’Église qui doit remanier ses mœurs en profondeur. Elle a besoin d’une « rupture instauratrice » (Michel de Certeau). Il est temps d’inaugurer un temps nouveau.

  • Sixième nécessité : changer le style de l’Église

Il faut se défaire d’un rapport au monde distant, parfois encore hautain, au profit d’un style d’existence présent au siècle où nous sommes. Cela veut dire avoir, comme Jésus, un « rapport de proximité bienfaisante ».

  • Septième obligation : renforcer le dialogue avec la société

Il s’agit de coopérer de toutes ses forces avec les autorités civiles y compris avec les associations de victimes. Mais c’est plus large. Culturellement, l’Église a beaucoup à faire pour se resituer dans la société.

  • Huitième travail : faire la vérité pour retrouver la confiance

Oui, faire toute la vérité sur les abus. Faire œuvre de justice, c’est-à-dire nommer, peser, délivrer les victimes d’un poids de culpabilité et de honte.
Il ne suffit pas de remanier les structures. Il faut changer d’état d’esprit.

  • Neuvième chantier : former les prêtres sur les questions affectives

La littérature est abondante sur le sujet. Mais quel écart entre la théorie et la pratique ! Quel infantilisme ! Quel manque de bon sens !
Et, bien entendu, revisiter la question du célibat. Et oser la revisiter, y compris spirituellement.

  • Dixième impératif : combattre les phénomènes d’emprise

L’emprise sexuelle repose sur une mainmise spirituelle, sur un abus de pouvoir. L’Église doit combattre de toutes ses forces ce qui mène à des abus de conscience. Cela veut dire aussi lutter contre la fascination... de la perfection.

  • Onzième travail : revoir l’exercice du pouvoir au sein de l’Église

Il faut que cesse ce temps où les responsables, dans l’Église, sont juges et parties. Et il ne faut pas camoufler le mot « pouvoir » sous le mot « service », mais retrouver une Église synodale qui collabore pleinement avec les autorités civiles.

  • Douzième chantier : mettre en acte la « tolérance zéro »

La « tolérance zéro » récapitule les onze obligations précédentes. La « tolérance zéro », ça veut dire des conduites claires, des protocoles, des procédures transparentes, des rapports publics.


Il eût été passionnant de discuter avec Véronique Margron de quelques-uns de ces chantiers. Mais voilà une bonne préparation à une future rencontre. Car , espérons-le, ce n’est que partie remise.



190502
 

Sortir de ce désastre « grâce à Dieu ».

Conception : Gabriel Ringlet
Coordination et mise en page :
Patrick Tyteca, Patricia Gosset
Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

 

 
Powered by AcyMailing