Le Prieuré - Semaine Sainte 2020 - Info-lettre N° 13 - 11 Avril 2020

Semaine Sainte 2020 - Info-lettre N° 13 - 11 avril 2020 
 

 

 

SAMEDI SAINT 11 AVRIL 2020 : LE SOIN DU SAMEDI

 

 200410

La résurrection est une naissance.

 

 

Bonjour à vous toutes et tous,

 

Voici déjà le troisième Jour. Et pour ouvrir ce Samedi en donnant toute son importance au grand silence d’avant Pâques (ce que nous avions l’intention de célébrer cette année), Isabelle nous a fait parvenir la très belle réflexion que voici, écrite pour temps de coronavirus...
Mais avant cela, nous vous invitons à vous replonger dans l’ambiance musicale habituelle du feu nouveau...

 

CHANT :          Voici la nuit de Didier Rimaud et Jo Akepsimas par les Muses

>> Écoutez ici

 

SAMEDI SAINT, QU’AS-TU À NOUS DIRE ?

Silence, confiance, espérance.
Silence, désarroi, angoisse.
Silence, pleurs. Un être cher est mort et nous ne savons pas où il est.
Pourquoi nous a-t-il laissé seuls ?
Silence mortifère, lieu de toutes les suppositions, des doutes et des peurs les plus folles.
Dans l’agitation, le désarroi rien ne se recueille, tout se vit au rythme du saisissement difficile à contenir. L’urgence de ne pas sombrer tend tous nos muscles, nos neurones et mélange nos émotions.
Les disciples devant le tombeau vide ont-ils ressenti cela ?
En tout cas ils n’ont pas compris tout de suite de quoi il s’agissait et sont restés sur la déception, le sentiment de trahison. Ce qu’ils avaient prévu n’est pas arrivé.
Peut-être découvrent-ils que la vraie pauvreté est celle qu’on ne choisit pas.
La situation actuelle nous fait vivre cette pauvreté-là. Pauvreté de moyens, de sens, de maitrise… nous sommes sans nos repères habituels et nos projets sont bousculés.
C’est une épreuve, ne nous le cachons pas. Une épreuve de tout l’être, chair et esprit.
Ce que nous avons à vivre, aujourd’hui particulièrement dans cette crise inimaginée, nous invite à entrer autrement dans l’expérience du Samedi Saint.
Il n’y a plus rien à voir avec nos yeux, à reconnaître avec nos mots, à toucher avec nos mains… tout est neuf, tout le connu est suspendu.
Le Samedi Saint met à l’épreuve la foi, c’est-à-dire la confiance.
Qui est là sur qui je puisse compter ?

J’ai peur, je ne sais plus, je suis seul(e) face à mon désarroi, à mes questions, à mon angoisse. La mort rôde, pour moi, pour ceux que j’aime et naît en moi un vertige.
Le tombeau est vide, ce n’est pas le moment de nous faire faux bond !!!
Où es-tu passé toi sur qui nous avions engagé notre vie ? Où es-tu toi qui devais nous sauver ?
Voilà que tu es mort, comme les autres. Qu’y avait-il de si extraordinaire à te suivre, qu’avais-tu finalement que les autres n’avaient pas ?
Rien ? Nous sommes déçus, trahis, abandonnés. Il n’y a personne, c’était un leurre, un effet de l’imagination délirante. Promesse non tenue ?
Je suis seul(e).
Solitude forcée, qui accroît mon désarroi. Reste-t-il quelqu’un qui m’aime suffisamment ?
Terrible solitude que celle du cœur.
Le tombeau vide met à l’épreuve l’amour.
Et pendant ce temps-là, Jésus est descendu jusque dans nos enfers, au plus profond de nous-même, dans nos lieux les plus sombres, là où rôde la vraie mort, celle de l’âme qui désespère.
Il œuvre en secret pour nous faire sortir de nos cachots, de nos tombeaux tristement clos sur eux-mêmes.
Il descelle, il décèle, il délie.
Qu’en savons-nous vraiment de ce travail entrepris là ? L’avons-nous jamais imaginé ?  Le prenons-nous au sérieux ?
Le tombeau vide met à l’épreuve la foi.
Et tout ceci se fait dans le plus grand silence. Mais ce silence-là est un silence de Vie, un silence nécessaire pour n’entendre que le murmure de la brise légère, celle qui dit Dieu à l’œuvre.
Laissons-nous faire par le silence du samedi saint, il va parler à chacun de nous dans la langue qu’il peut comprendre.
Ce silence ne dit pas la mort, il dit la Vie qui a vaincu la mort.
Il dit l’Amour infini dont nous sommes aimés. Infini…

Isabelle le Bourgeois
Paris, le 4 avril 2020

 

LE DIEU DES ABÎMES (Quelques extraits)

Une terre ensemencée

– J’ai besoin que vous me disiez que vous avez entendu et que vous me croyez. J’ai besoin de vous l’entendre dire, que vos mots disent que c’est bien vrai, que vous avez entendu le poids de ce que je porte. (...)
J’avais eu envie de lui dire ce jour-là que mon cœur, mes entrailles, tout mon être est une terre sans cesse ensemencée par la parole des autres et que j’en frémis, vibre, pleure, tremble si souvent... Mais je ne peux le dire de cette façon, seul mon sourire, à ces moments-là, tente de le leur révéler dans le silence.
Ils sont si nombreux à réclamer d’être reconnus pour ce qu’ils ont vécu.
Croire que l’on peut être cru.

(p. 122)

Un genre de rendez-vous

– Vous m’avez manqué, ma sœur ! Nos entretiens dans ma cellule, vous vous rappelez ? C’est fou comme ça m’a aidé. Parler pour ne plus avoir peur des mots qui sont dangereux et donc ne plus avoir peur de soi. Vous voyez ce que je veux dire ? Je vais vous dire, c’est maintenant, à l’âge mûr – oui, il m’a fallu attendre tout ça comme temps –, que je crois être enfin arrivé là où... C’est compliqué à expliquer, c’est un truc dans le genre où on a enfin rendez-vous avec soi. Vous voyez ce que je veux dire ? Peut-être que pour les autres ça paraît simple ce que je dis mais pour moi c’est excessivement difficile. En fait le Damien d’avant n’existe plus.
– Quel Damien d’avant ?
– Celui avant le meurtre. En fait, c’est plus compliqué. Il y a un Damien qui a tué et qui a été puni. À la fois c’est le même que maintenant et pas le même. C’est ce que j’essaie de dire. Peut-être que c’est d’avoir pu expliquer ce qui s’est passé dans ma vie qui aide aujourd’hui à dire que j’ai comme un genre de rendez-vous avec moi. Enfin expliquer c’est beaucoup dire car finalement ça reste une folie et une folie ça ne s’explique pas vraiment, non ? Pour cette folie qui a coûté la vie à Julianne, j’ai fait douze ans de cabane, celle qui a des murs, des barbelés, des miradors, celle qu’on regarde avec mépris et crainte. La taule quoi !

(pp. 135-136)

Quitter Dieu

« Il nous faut quelquefois, a écrit Pierre de Bérulle, quitter Dieu pour Dieu même, mais non pour autre chose. Car il est tel qu’il le ne faut quitter que pour lui-même. » En voilà une formule toute simple et pourtant qui donne à penser. Quel Dieu s’agit-il de quitter, pour quel autre, et comment saura-t-on que c’est alors le bon et qu’il ne faut pas le quitter à nouveau ?
Aller plus profondément au risque de perdre tout ce que l’on sait, être débarrassé du savoir pour entrer dans la connaissance, la co-naissance. Accepter de quitter dieu pour Dieu passe par là. Sortir de l’idole, de l’emprise de l’idole, pour entrer dans un lieu sans repères connus. Mais comme il nous est impossible d’être dans le désert sans vivres, sauf à mourir, il est vital d’avoir avec nous ce que j’appelle une petite trousse de voyage. Que peut-elle contenir ? Ce sera différent suivant les personnes et les étapes de la vie, mais sans cette trousse il est suicidaire de se lancer dans l’aventure.

(pp. 153-154)

Mystère du relèvement

Dieu fait revenir Jésus d’entre les morts. Non seulement Dieu vient nous visiter au plus profond de nos morts, de nos incapacités, de nos désespoirs, mais il nous en relève, nous en fait revenir, nous en délivre. Il ne s’arrête pas à la mort, il sait que la Vie est la plus forte. Comment dire ce mystère en quelques mots si simples ? C’est l’expérience de chacun qui donne chair à ces mots, c’est l’aventure déjà vécue avec le Dieu des abîmes qui autorise à parler. Peu importent les mots et leur imprécision car approcher du mystère c’est déjà y entrer. Je ne suis pas sûre que nous puissions faire beaucoup plus.

(pp. 167-168)

Pas triste

Attention, ne nous y trompons pas, le Dieu des abîmes est tout sauf un Dieu triste et affligé dont seules la folie, la douleur, l’immensité du mal seraient les compagnes de route. Ce serait terrible ! Nous serions entraînés avec lui dans une déréliction sans fin. Dieu ne se repaît pas de la souffrance de l’Humain, bien sûr que non. Il est avec nous en ce lieu, il nous soutient comme la pierre de soutènement, il est comme un veilleur qui sait que la lumière surgit toujours. Jésus en fait l’expérience, en cela il nous précède. Il n’y a pas d’autre projet que celui de l’amour.

(pp. 181-182)

Extraits de Le Dieu des abîmes. À l’écoute des âmes brisées, Albin Michel, 2020.

 

CHANT :          The Hallelujah song de Léonard Cohen par les Muses

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UN RITE : REPLIER LE LINCEUL

Puisque ce long silence du Samedi va prendre du temps, on peut imaginer, avec les poètes et les romanciers, que Jésus va mettre du temps... à sortir du tombeau. C’est en tout cas ce que pense Jean Grosjean qui le voit rentrer dans le tombeau et aller replier le linceul pour qu’il serve au suivant...
Nous vous proposons...
De faire comme Jésus. Puisqu’il sent et goûte le printemps, un printemps « fait de rien », déposez ce rien sur une table : « violettes occultes, jacinthes naissantes, pousses de glécome... » ou toute autre fleur, plante, branchette qui vous inspirent. Et vous les respirez lentement, profondément.
Ensuite, vous prenez un linge blanc, légèrement chiffonné, qui vous servira de linceul... et vous le pliez délicatement en caressant les plis du bord de la main, pour qu’il serve au suivant. Voilà un beau geste d’anticipation !
Vous pouvez aussi (à option) rouler des bandelettes de gaze.
Vous déposez le linge (et les bandelettes) sur la table, parmi les fleurs, et vous allumez une bougie.
Quand cela est fait, vous prenez le temps de relire le texte de Grosjean en laissant les mots vous rejoindre et pénétrer en vous. Voici ce texte (« Le Messie », Gallimard 1974, D’une brûlante actualité) :

Jésus marchait sous les étoiles. Il ne se réhabituait à vivre qu’avec précaution. Il ne fréquentait encore que des tombes et son passage en réveillait les hôtes. (...)
Il sentait que vivre n’avait été qu’une aventure raisonnable auprès de la hardiesse de revivre. (...)
Il s’égarait à tâtons dans la campagne. (...)
Jésus reconnaissait les odeurs de fleurs que son orteil frôlait dans l’ombre : un printemps fait de rien, violettes occultes, jacinthes naissantes, pousses de glécome. (...)
À mesure que son âme reprenait ses dimensions, il se reprochait même de s’être levé trop étourdiment d’entre les morts, de n’avoir pas attendu un impératif assez catégorique. Il retourna ranger les linges funèbres que Joseph et Nicodème avaient prêtés à son corps. Il roula les bandelettes, plia le linceul à part pour servir au suivant et laissa ouvert le sépulcre dont il avait traversé la porte. Puis il s’aperçut qu’il n’avait plus grand chose à faire et que la mort manquait d’intérêt. (...)
Il marchait secrètement, s’écartant des fermes, utilisant les bouts de haies ou les replis de terrain pour passer inaperçu, mais il ne pouvait s’empêcher d’éclairer la banalité du monde et il eut l’impression de s’y embrouiller. Il lui fallait repartir de ses bases. Il revint donc pour la troisième fois vers le sépulcre. Il laissa s’en aller Pierre et Jean qui étaient accourus vérifier les dires des femmes. Il rôda autour de son tombeau parmi les primevères qui le regardaient de leurs admirables yeux d’illettrées. (...)
Et soudain, au fond du gouffre, Jésus aperçut sa mère, triste et rêveuse, dans un jardinet de la ville où elle était sortie de bonne heure ne pouvant dormir. Elle s’était affairée à désherber, à épierrer. Maintenant qu’il faisait moins frais et qu’elle était lasse, elle s’était assise sur une pierre au bout d’un rang de vieux choux de Bruxelles où couraient les boutons-d’or entre les trognons pourrissants. Elle triait des graines de capucines et de pavots. On lui voyait une multitude de petites rides dans le soleil matinal et cela lui donnait de l’allure. Elle ne voyait pas son fils, mais si elle l’avait vu, aurait-il été plus proche ?

 

CHANT :                      Alegria (Cirque du Soleil) par les Muses

>> Écoutez ici

 

EN GUISE D’ENVOI ET EN DIALOGUE AVEC LE TEXTE D’ISABELLE EN OUVERTURE

La grossesse du Samedi

D’accord, la liturgie est très pédagogique. En trois jours, tout est dit ! Le pain du Jeudi, la croix du Vendredi et le Dimanche, de grand matin, la pierre roulée devant le tombeau (Luc 24, 1-2). Mais le Samedi ? Rien. L’Évangile dit juste qu’après avoir préparé aromates et parfum, les femmes « observèrent le repos selon le commandement » (Luc 23, 26).
Et si le vide du Samedi était plus long et plus plein qu’on ne le dit parfois ? Un Samedi qui a duré des mois, des années peut-être... avant qu’un petit bout d’alléluia ne commence à germer sur les lèvres des premiers témoins.
Laminés par le drame du calvaire, les amis de Jésus se posaient une question brûlante qui touche au sens même de l’histoire : la haine va-t-elle vaincre l’amour ? Cette terrible interrogation, tellement d’aujourd’hui, il ne faut pas l‘évacuer trop vite. Pendant des années, elle a dû torturer celles et ceux qui avaient tout quitté pour le suivre. Mais, petit à petit, dans le secret, d’abord, des célébrations domestiques, après un long travail de deuil, des paroles circulent, une espérance renaît, une foi se précise : ceux qui ont brûlé, qui ont partagé leur faim, multiplié leur soif, les doux, les écorchés, les éveillés, qui ont offert ne serait-ce qu’un verre d’eau, ceux-là, celles-là, sont appelés à un avenir en Dieu.
Ne faudrait-il pas honorer davantage ce si long Samedi ? Accueillir ce vide, célébrer cette absence ? Et permettre à tant de blessés de nos actualités quotidiennes de faire chemin d’attente ? S’il est dit au Livre des Actes qu’ « Il a été délivré des douleurs de la mort » (2, 24), c’est bien des douleurs d’une femme en travail dont parle le texte, parce que la résurrection est une naissance. Une bonne raison de donner temps et place à la grossesse du Samedi.

Gabriel Ringlet

 

LECTURE DE CE DERNIER TEXTE PAR SYLVIE

>> Écoutez ici

 

CHANT :          Le passeur de lumière par Les Muses et Yves Duteil. Pour de vrai !

>> Écoutez ici

 

MERCIS

A vous !

De nous avoir été si fidèles et de nous avoir envoyé des tas de message de sympathie.

À Christine, Amélie et Isabelle, de loin, si proches.

À Patricia, À François, À Sylvie, Aux Muses et Aux deux Patrick.

 

Le personnel et les équipes du Prieuré vous souhaitent une vivante traversée pascale.

N’oubliez pas qu’après le long Samedi du corona jaillira l’alléluia du déconfinement !

 

 

 

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