Le Prieuré - Semaine Sainte 2020 - Info-lettre N° 11 - 9 Avril 2020

Semaine Sainte 2020 - Info-lettre N° 11 - 9 avril 2020 
 

 

 

JEUDI SAINT 9 AVRIL 2020 : LE SOIN DU JEUDI

 

 200408

Les souvenirs nous attachent au passé. La mémoire nous permet d'envisager l'avenir.

 

 

Bonjour à vous toutes et tous,

 

Pour prendre soin du Jeudi, Christine Pedotti devait nous rejoindre au Prieuré et vivre avec nous les trois Jours Saints.

Voici le petit mot très personnel qu’elle nous adresse, suivi d’une interprétation du Jeudi Saint écrite pour nous.

Grand merci, Christine.

 

TEMOIGNAGE

Ce jour est pour moi particulier puisqu’il y a une année très exactement, Claude, mon bienaimé, celui avec qui je conjuguais si heureusement ma vie depuis 38 années a été foudroyé par une mort subite alors qu’il descendait faire le tour de son jardin.
J’ai confié Claude à la mémoire du Dieu des vivants. Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, Dieu, Père de Jésus Christ n’est pas le Dieu des morts. En lui, je crois que ce qui était l’être profond de Claude, ce qui le faisait unique et que lui-même ne connaissait pas complètement, tant nous sommes parfois des mystères pour nous-mêmes, n’est pas aboli par la mort. Je crois que cet être de Claude – peut-être est-ce que qu’il faut appeler « âme » –, ce qui l’animait au plus intime de lui-même, cet être-là est libéré de ce qui l’assombrissait parfois, de ses doutes, de ses hantises, de ses chagrins. Il a été happé par la mémoire du Vivant qui le tient en sa présence. En Dieu, sa vie s’accomplit, s’épanouit, il est enfin parfaitement celui qu’il était appelé à être. Rien de ce qu’il était n’est perdu, tout est accompli.
Je crois à cette vie re-sucitée dans la mémoire du Seigneur. Je crois que c’est la promesse qui nous est faite et que nous célébrons, dont nous faisons mémoire en ces jours de Pâques.

 

LE JEUDI SAINT OU LA CÉLÉBRATION DE LA MÉMOIRE

Le Jeudi saint est une célébration de la mémoire ; un mémorial. Et la mémoire a fort peu à voir avec les souvenirs.
Lorsque la Bible nous raconte la sortie des Hébreux de l’esclavage en pays d’Égypte et leur marche vers la liberté, elle fait état de leur nostalgie : « Ah, les oignons rôtis, ah, les viandes goûteuses… voilà ce que nous avons laissé ». Et ces souvenirs les attachent au passé, les lient à la servitude plus sûrement que les chefs de corvée et leurs fouets. Il va leur falloir, nous dit le texte, quarante années de désert, de plaintes, de lamentations et de récriminations pour réussir à quitter le pays du malheur, des coups, de l’injustice, de l’arbitraire, pour nettoyer et purifier leur mémoire. Les psychanalystes pourraient nous dire qu’il s’agit d’une forme de cure. Une longue cure pour accepter de laisser là les névroses qui nous détruisent et que cependant nous chérissons.
Mais tandis que nous laissons là les souvenirs, les soupirs, la langueur et la mélancolie qui nous attachent au passé, nous entrons dans le pays de la mémoire.
Tandis que les souvenirs appartiennent au passé, la mémoire elle est au présent et nous permet d’envisager le futur.
Aussi, faire mémoire n’est-il pas se souvenir, mais rendre présent ce qui ne cesse d’être. Les oignons et les viandes grillées de nos chers Hébreux appartiennent définitivement au passé, en revanche, leur libération est devenue leur liberté. Et en faire mémoire est rendre présent ici et maintenant cet évènement fondateur. C’est pourquoi le texte du livre de l’Exode contient un ordre de mémoire : « Ce jour-là, tu parleras ainsi à ton fils : “C'est à cause de ce que le Seigneur a fait pour moi lors de ma sortie d'Égypte.” Ce sera pour toi un signe sur ta main, un mémorial sur ton front, afin que la loi du Seigneur soit toujours dans ta bouche, car c'est à main-forte que le Seigneur t'a fait sortir d'Égypte. Tu observeras cette loi au temps prescrit, d'année en année. » Ex 13, 8-10.
Faire mémoire de l’évènement qui libère, c’est célébrer la liberté. La tradition juive, la Hagada précise que chaque croyant célèbre Pâque, Pessah, comme s’il était lui-même sorti d’Égypte. Chacun et chacune fête bien sa propre libération aujourd’hui.

Nous chrétiens, nous célébrons la dernière « heure » de Jésus avec les siens et c’est l’heure de la mémoire. Nous faisons mémoire de ce jour, de cette heure où Jésus sachant que pour lui est venue l’heure du passage, laisse à ses proches les clés de la compréhension de l’évènement.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de nous souvenir que Jésus a fait ceci ou cela, dit ceci ou cela, nous faisons mémoire de cette heure où par avance, il nous donne la capacité de comprendre ce qui va arriver.
Il faudra aux disciples du temps pour comprendre. Il leur faudra vivre l’effroi de l’arrestation puis la nuit, le vide et le silence du jour d’après avant que ne commence à naître la possibilité d’imaginer, d’envisager que la mort ne serait pas le point final de leur histoire.

Aujourd’hui, nous aussi, nous pouvons accompagner Jésus dans la salle haute du Cénacle, nous pouvons nous laisser laver les pieds comme on laisserait s’estomper les souvenirs qui nous attachent, qui nous lient, les oignons d’Égypte de nos vies, toutes les mélancolies, les frustrations, les rancunes, les peurs, les deuils, parfois qui nous retiennent, nous paralysent, nous empêchent de vivre au présent, ici et maintenant, de répondre « me voici » à la vie qui vient.
Alors, comme Pierre, nous pourrions dire « pas seulement les pieds, mais tout entier ». Comme Pierre, nous en voudrions trop, car il ne s’agit pas de tout effacer, de tout oublier, mais de laisser seulement ce qui nous empêche de marcher, d’avancer.
Aujourd’hui, nous pouvons rejoindre Jésus dans la salle haute du Cénacle et nous attabler avec lui. Nous pouvons comme les disciples recevoir la promesse de la vie, même si nous ne comprenons pas tout, pas encore, pas assez.
Aujourd’hui, nous recevons la mémoire, c’est-à-dire un présent qui ne cesse pas de l’être, qui ne glisse pas vers le passé, qui ne nous échappe pas dans un futur insaisissable.Ici et maintenant, aujourd’hui, nous faisons mémoire de celui dont la présence trouble le temps, qui nous fait promesse au goût d’éternité, celle du présent éternel. Telle est en ce jour l’œuvre de la mémoire.

Christine Pedotti

 

NE PAS SÉPARER LES MÉMOIRES

Dans l’abondance des écrits de Christine, et pour entrer dans l’esprit du Jeudi que nous allions et allons célébrer avec elle, voici quelques extraits de son livre « Jésus, l’homme qui préférait les femmes » (Albin Michel, 2018), dans un passage intitulé « L’onction de Béthanie ou la femme oubliée ». Il est très proche de l’expression dans laquelle le Prieuré se refuse à séparer depuis 30 ans ! : « Faites ceci en mémoire d’elle » et « Faites ceci en mémoire de moi. »

 

Le flacon d’albâtre que la femme brise contient, dit l’Évangile, du « nard pur ». Il s’agit de l’extrait – le plus souvent une huile – du rhizome d’une plante apparentée à la valériane qui pousse dans les vallées himalayennes. C’est un produit d’un luxe extrême. Outre la difficulté de le produire, il faut pour l’acheminer jusqu’en Israël de longs mois de voyage, éprouvants et dangereux. (...)
Évidemment, devant une telle prodigalité, les disciples se récrient. (...)
Mais les protestations des disciples qui cherchent querelle à la femme dispendieuse n’émeuvent pas Jésus. Au contraire. C’est elle qu’il défend : « Pourquoi tracassez-vous cette femme ? (...) En vérité je vous le dis, partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire. » (...) Autrement dit, partout où la Résurrection sera proclamée, on fera mémoire du geste de cette femme. Il y a là un ordre mémoriel sans équivoque : « partout », « dans le monde entier ». (...)
Ce qui devient très intrigant, c’est que lorsqu’on poursuit la lecture des textes de Matthieu et Marc pour arriver au récit de la Cène, le dernier repas que Jésus partage avec ses disciples et au cours duquel il partage le pain et la coupe, on cherche en vain l’ordre de mémoire – « Vous ferez cela en mémoire de moi » – que nous sommes habitués à entendre dans la liturgie. On découvre que seul l’Évangile de Luc l’a transmis. Il ne fait pas de doute que Luc le tient de Paul dont il fut le compagnon. Paul en effet est très clair dans les consignes qu’il rappelle aux Corinthiens : « Le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : “Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.” Ce texte est le plus ancien que nous ayons sur l’eucharistie. Les spécialistes le datent du milieu du 1er siècle de notre ère. Il établit la pratique qu’avaient les communautés de célébrer le « Repas du Seigneur ».
Reste que deux évangiles font porter un ordre de mémoire non sur ce repas mais sur le geste de la femme au flacon de parfum. Et étrangement, ce geste a été totalement oublié. Non seulement il semble qu’on en ait jamais fait mémoire, jamais et nulle part, mais elle-même a été purement et simplement effacée.
(...)
Le soir du dernier repas qui réunit Jésus et les siens, le texte johannique ne rapporte pas les paroles sur le pain et le vin, mais il met en scène un lavement des pieds. Et c’est Jésus qui s’agenouille, lave les pieds des disciples et les essuie avec un linge, avant de donner un ordre clair : « C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. »
Est-il possible que Jésus propose à ses disciples un geste testamentaire qui a été préalablement accompli sur lui par une femme ? (...)
Constatons ici que, pendant près de vingt siècles, le geste de Marie de Béthanie et celui de Jésus ne sont jamais mis en parallèle. (...) Or il est évident que le geste de la femme de Béthanie est d’une haute portée spirituelle et théologique.

(pp. 128-134)

 

UN RITE : LE PARFUM DE LA MÉMOIRE

En vivant la Semaine Sainte au Prieuré, Christine Pedotti voulait aussi faire mémoire de Claude, « son alter ego si merveilleusement alter » dit-elle dans la dédicace de son dernier livre.
Claude, comme celles et ceux qui s’en sont allés, se trouvent « happés par la mémoire du Vivant » nous dit Christine. On peut donc voir le lavement des pieds comme une manière de rafraîchir la mémoire. Et puisque Jésus propose à ses disciples « un geste testamentaire qui a été préalablement accompli sur lui par une femme », nous vous proposons de refaire ce geste qui réunit onction de Béthanie et lavement des pieds.
Concrètement... vous allumez une bougie et vous déposez, juste à côté, une fleur et une petite coupe d’huile odorante ou un flacon de parfum.
Vous évoquez la mémoire de Claude et la mémoire de quelques proches, parents, amis, personnes rencontrées dans l’actualité. Vous épelez lentement leurs prénoms.
Ensuite, vous dites la prière de bénédiction du parfum qui se trouve ici, juste après.
Et puis, lentement, vous faites une onction parfumée dans le creux de la main de celui, de celle (ou ceux) qui est (sont) à vos côtés en disant :

« Que ce parfum prenne soin de toi
Et te garde dans l’amour ».

Et si vous êtes seul(e), vous vous faites cette onction à vous-même.
Il peut y avoir, pour clôturer ce rite, un moment de silence suivi d’une musique : en pensant à ceux qui vous sont chers.

 

CHANT :          Only time d’Enya, musé… par les Muses.

>> Écoutez ici


PRIÈRE DE BÉNÉDICTION DU PARFUM

« Partout où sera prêché l’Évangile dans le monde entier, on racontera, en mémoire d’elle, ce qu’elle a fait. »

Aujourd’hui, Seigneur,
En mémoire d’elle,
Nous te présentons ce parfum.
Bénis-le.
Envoie sur lui ton Souffle
Qu’il prenne soin
De celui, de celle, qui va le recevoir, et qu’il devienne le parfum
D’un  « je t’aime ».
Nous te le demandons
Par Jésus, ton Fils, notre Seigneur.

 

QUELQUES EXTRAITS D’UNE PRIÈRE EUCHARISTIQUE

Conçue par Jean-Yves Quellec

IL AIMA LES SIENS

Il fallait bien qu’un visage réponde
À tous les noms du monde (P. Éluard).

Jésus aima les siens qui étaient dans le monde.
Ceux que le Père lui avait confiés,
lui avait donnés,
voilà ceux qu’il aima.
Il eut, comme chacun d’entre nous,
sa part de visages :
visages familiers, visages entraperçus,
visages d’un instant, visages d’une vie...
Mais il aima si bien et si complètement
ce petit nombre
d’hommes et de femmes de Palestine,
que désormais leurs visages
répondent à tous les noms du monde.

(...)

Jésus aima les siens qui étaient dans le monde.
Il ne voulait rien montrer, rien prouver.
Il n’aimait pas pour quelque chose,
pour une quelconque raison.
Il n’aimait pas pour sauver le monde.
Il aimait pour aimer,
si on peut dire, et c’est encore trop dire.
Il aimait tout simplement.
L’amour était en lui.
Il était l’amour même.

 

POUR POURSUIVRE LA CONVERSATION...

D’abord quelques mots autour du dernier livre de Christine, « Jean-Paul II, L’ombre du saint », sorti chez Albin Michel en mars 2020.

L’exergue

« La sainteté est aussi une tentation. » Jean Anouilh

Le résumé

Quinze ans après la disparition de Jean-Paul II, les fruits de ce long pontificat se révèlent terriblement amers, et l’on est en droit de se demander quelle est la responsabilité de Jean-Paul II dans la crise que traverse l’Église catholique, l’une des plus graves de son histoire. Il se voulait le pape d’une restauration catholique – réarmement doctrinal, « nouvelle évangélisation », centralité de l’autorité romaine – mais cette politique a contribué à la dissimulation des pires abus. Et, à l’exception notable du monde juif envers lequel il a posé des gestes prophétiques, son pontificat a laissé sur le chemin beaucoup de monde : les théologiens d’ouverture, les autres confessions chrétiennes, les femmes, les homosexuels...

Une relecture serrée, sans polémique, qui ouvre un droit d’inventaire.

 

Et puis quelques extraits de ce remarquable petit ouvrage-interpellation adressé à « Messieurs les responsables de l’Église catholique » : « Qu’avez-vous fait de Jésus ? » (Albin Michel, 2019).

Il n’y a pas de clergé avant le début du IIe siècle. (p. 59)

Messieurs les responsables de l’Église catholique, il faut maintenant que vous vous rendiez compte de la dimension fondamentalement perverse de cette symbolique de paternité. Et ne venez pas nous dire : c’est la tradition qui... Écoutez, écoutez celui qui devrait être votre seul maître, votre seule boussole, Jésus lui-même : « N’appelez personne père... » Mtt 23,9. (p. 62)

Le pape François pointe le « cléricalisme ». Mais le cléricalisme, Messieurs, c’est vous ! Vous qui avez confisqué tous les rôles, père, mère, maîtres, savants. (...)

Désormais la question est posée : comment reconstruire le catholicisme en éradiquant le cléricalisme ? (pp. 126-127)

Je connais vos arguments, Jésus n’a choisi que des hommes, bla bla bla... Vous savez bien que le raisonnement est faux, qu’il ne tient pas. Vous faites porter à Jésus des intentions qu’il n’a jamais exprimées. Vous savez qu’il n’a pas choisi de prêtres et que la figure chrétienne des prêtres ne trouve pas son origine dans l’Évangile mais dans la pratique des premiers siècles. Si Jésus a choisi douze hommes autour de lui, c’était pour figurer le peuple renouvelé. Ils sont douze, comme les douze fils de Jacob, à l’origine du peuple d’Israël. Les Douze ne sont pas la figure des prêtres, ils sont la figure du peuple, du peuple tout entier, des fils et filles d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui deviennent frères et sœurs de Jésus et par cette fraternité, enfant du Père, enfant de Dieu.

 

Enfin, pour la route, ce mot que Christine Pedotti emprunte à un ami prêtre qui a beaucoup d’humour... sur lui-même :

« Le cléricalisme est une maladie contagieuse,
transmissible par imposition des mains. »

 

Quel beau résumé du corona clérical !

 

SYLVIE NOUS LIT LE TEXTE :              Il aima les siens   

>> Écoutez ici

 

CHANT :          Des hommes pareils de Francis Cabrel par les Muses  

>> Écoutez ici

 

À demain

 

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