Éditorial juin 2015 : Le cèdre et le sénévé

 

« À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ?  »
(Marc 30)

 

 

Que diriez-vous d’une petite promenade bucolique dans les jardins fleuris de la liturgie dominicale ? Avec pour guide une botaniste exceptionnelle dont l’œuvre toute entière se cache dans la sobriété : Anne Perrier. Je l’appelle, dans le secret, la poétesse du sénevé. Avant de la lire, je n’avais jamais senti une telle parenté avec les fleurs, les pierres, les insectes, les oiseaux… Mais Anne Perrier crée aussi une relation intense et de grande tendresse avec les arbres, ses frères en humanité, dont elle se sent sensuellement et spirituellement si proche.

 

« UN HAUT DIGNITAIRE EN EXIL »

Pour ouvrir notre escapade, je propose d’abord un moment d’arrêt chez un autre poète qui a su si bien faire fleurir le texte biblique à travers, surtout, un art raffiné de l’allégorie : Ézéchiel. On comprend que Dante s’en soit inspiré. Il faudra attendre Jésus et les Évangiles « pour rencontrer une utilisation aussi puissante de la parabole » écrit André Chouraqui.
Ézéchiel et sa magnifique histoire du grand cèdre à la cime duquel Dieu va chercher une jeune pousse pour la planter lui-même sur le mont Sion, « la haute montagne d’Israël ». À un moment où la situation est très tendue à Jérusalem et où le peuple se trouve en grande souffrance, le poète-prophète veut lui faire comprendre que Dieu tiendra ses promesses, que le rameau messianique issu de la semence de David deviendra un arbre magnifique à l’ombre duquel viendront nicher « tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux ». Et comme les grands textes poétiques se répondent, Ézéchiel ajoute encore ce verset qui inspirera le Magnificat : « Je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec » (Ez. 17, 24).

Revisité par Anne Perrier, le cèdre planté par Dieu devient

Un haut dignitaire en exil
Et qui attend
Peut-être de mourir tout seul
Et qui brûle
Ses dernières cartouches d’oiseaux

 
COMME UNE POIGNÉE DE POUSSIÈRE

D’Ézéchiel à Jésus, d’une parabole à l’autre, on passe de la cime du grand cèdre à la minuscule graine de sénevé.
Des sénevés, on en trouve partout en Palestine. Et quand on ouvre le fruit pour en récolter la semence, les graines sont si minuscules qu’elles s’échappent comme une poignée de poussière. Il n’empêche qu’elles donnent naissance à une plante qui peut atteindre trois mètres de hauteur et même quatre près du lac de Génésareth, et dont les tiges sont assez rigides pour que les oiseaux du ciel puissent venir faire leur nid à son ombre.
Si on ajoute que la croissance du sénevé est rapide puisqu’il ne faut qu’une quarantaine de jours entre la plantation de cette petite graine de moutarde et l’arrivée de « l’arbre » à maturité, on comprend mieux la portée de la parabole. Le règne de Dieu, lui aussi, pousse vite dans le secret. Au départ, il a l’air tout petit, presqu’invisible, mais en peu de temps, voyez comme il grandit, explique Jésus, au point de dépasser « toutes les plantes potagères ». Et il est si solide, ce règne-là, que les oiseaux que vous êtes vont s’y trouver bien à l’abri.
Dans son splendide recueil Feu les oiseaux, Anne Perrier salue aussi le règne du minuscule qui devient immense à qui sait regarder. Voici, pour le plaisir, quelques graines de poèmes, si proches parentes du sénevé :

Si j’étais fleur
La nuit je conduirais à la danse
La prairie

                        *

Il suffit
Sur la pointe des pieds que passe l’églantine
Pour absoudre la terre

                        *

Le soir venu
Les coquelicots qui chantaient dans l’avoine
Se sont tus

                        *

Le monde est si tranquille
Cueilli
Sous le feuillage de l’éternité (1)

Gabriel Ringlet
Juin 2015

 

(1)   Les citations d’Anne Perrier proviennent de La voie nomade, L’Escampette Editions, 2008.