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Éditorial septembre 2014 : Allégez-vous !

 

 

« Heureux les légers, ils connaîtront l’envol », ce pourrait être la béatitude qui fait le lien entre la saison dernière et la nouvelle. Heureux les légers, les désencombrés, ceux qui, comme les oiseaux de l’Évangile, vivent pour autre chose que le grain engrangé, et qui s’envolent sous le regard bienveillant de Dieu.

Voler est un rêve aussi vieux que l’humanité. Les mythologies regorgent de créatures ailées et Léonard de Vinci, avec ses dessins de machines volantes, touchait presque du doigt ce vieux fantasme. Aujourd’hui, avec le survol de Bruxelles, le rêve est devenu cauchemar pour certains riverains et leurs représentants politiques. Et pourtant, l’envol n’est pas réservé à ceux qui veulent se jouer de la pesanteur. Il est des envols qui ne nécessitent ni ailes, ni machineries complexes, il est des envols accessibles à tous, même à ceux qui sont atteints de vertige ou d’aviophobie. Écoutez plutôt !
Un vieux sage juif raconte qu’en Pologne vivait autrefois un rabbin très apprécié, que l’on considérait même comme un saint homme. Mais bizarrement, chaque jour de Shabbat, au lieu de paraître à la synagogue, il disparaissait. La rumeur circula bientôt qu’il devait monter au ciel pour s’entretenir directement avec le Créateur. Un jour, un Lithuanien très instruit et très pieux s’installa dans la communauté. Lorsqu’il fut mis au courant de la rumeur, il rit de cette stupide superstition et voulut mener son enquête. Il suivit le rabbin et découvrit que, chaque samedi, celui-ci se rendait en réalité au chevet d’une vieille dame, aveugle et grabataire, installée au cœur de la forêt, et qu’il prenait soin d’elle avec un dévouement exceptionnel. Le Lithuanien eut honte d’avoir douté de cet homme et de retour au village, comme on lui demandait si c’était bien au ciel que le rabbi montait, il répondit : « Au ciel, oui… et peut-être plus haut. »
On peut donc s’envoler à ras de terre…


Icare ou Pégase ?

Tout au long de cette année, le Prieuré déclinera le thème de l’envol. Cette métaphore, qui peut se lire dans tous les sens, ne manquera pas d’inspirer chacun de nos invités.
Les envolées peuvent être lyriques, poétiques ou amoureuses, tant il est vrai que les sentiments forts permettent de rendre la parole à nos muses ailées parfois muselées.
L’enfant peut s’envoler vers l’âge adulte, vers davantage de maturité et de responsabilité.
Le prisonnier peut s’envoler vers la liberté, et le chômeur vers l’autonomie.
L’âme peut s’envoler vers Dieu dans une extase mystique, ou lors de son dernier voyage.
Mais attention, à vouloir trop se rapprocher du ciel, pour se l’approprier, pour parler en son nom, on risque fort de se brûler les ailes. Il y a donc des tentations d’envol qui sont peu fécondes. Et puis, il y a des rêves plus bucoliques comme celui de Jean-Marie Kerwich : « Mais aujourd’hui, je voudrais égaler Pégase, le cheval-ange, et avoir la douceur de son galop qui va de nuage en nuage. » L’envol est alors une invitation à nous arracher de nos pesanteurs, à musarder et à butiner le ciel pour en faire son miel.


Des racines et des ailes

Un proverbe juif prétend qu’« on ne peut que donner deux choses à ses enfants : des racines et des ailes », car il faut pour oser prendre son envol, des racines bien solides, une terre où l’on pourra revenir se reposer, des lieux pour se ressourcer et retrouver de la force pour mieux repartir. L’envol est un incessant aller-retour entre la terre et le ciel.
Pour cela, les racines ne doivent pas nous retenir. Être enraciné, ce n’est pas être enterré. Regardez l’arbre : il puise sa sève dans la terre pour ensuite se dresser vers le ciel, car l’arbre vole, c’est évident. Son seul souhait est de s’élever vers le ciel. L’arbre est un mangeur de terre et un buveur de ciel. Regardez-le déployer ses feuilles comme des voiles au vent et frémir, à la moindre brise, du désir de s’envoler.
Que vous soyez arbre, ou Pégase, allégez-vous, envolez-vous car, comme le disait Hadewijch d'Anvers : « Les plus belles fleurs flétrissent, hélas, et les oiseaux meurent. Ce qui reste intact, ce sont les floraisons et les envols. »

Jean BAUWIN
Septembre 2014

Et peut-être plus haut, extrait de Contes des sages juifs, chrétiens et musulmans par Jean-Jacques Fdida, Paris, Seuil, 2006.