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Éditorial janvier 2014 : Rentrer à la maison

«  Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm »

(Matthieu 4, 13)

On imagine souvent un Jésus sans feu ni lieu, toujours sur les routes, à vagabonder ou à embarquer, dormant le plus souvent à la belle étoile. D’ailleurs, à un scribe qui se propose de le suivre « partout où tu iras », Jésus ne répond-t-il pas : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête » (Mtt 8, 20).
D’autres passages d’Évangile nous disent pourtant que Jésus revient régulièrement à « la maison ». Et on voit bien qu’il ne s’agit pas de la maison paternelle à Nazareth mais du domicile qu’il a établi à Capharnaüm.

 

 

CAMP DE BASE

Situé à quelques kilomètres de l’embouchure du Jourdain, Capharnaüm est un village-frontière entre la Galilée d’Hérode Antipas et les territoires voisins gouvernés par son frère Hérode Philippe. Un lieu de passage mais de refuge aussi où les réfractaires et les exilés viennent parfois se mettre à l’abri. Il y a là tout un monde mélangé, des fonctionnaires royaux, une garnison romaine, un bureau des douanes, pas mal de paysans vu la richesse des terres côtières toutes proches, mais surtout des pêcheurs. C’est d’ailleurs autour du petit port que le village s’anime, là qu’on répare les filets, qu’on rafistole les barques et qu’on achète, bien entendu, le poisson frais. Et si, par bonheur, leurs prises ont été abondantes, les hommes repartent vers Magdala où se trouvent des conserveries. Ils auront plus de chance d’y écouler leur pêche miraculeuse.
C’est donc dans ce lieu composite et haut en couleur, un capharnaüm d’activités et de populations, qu’habitent Simon-Pierre et son frère André. On sait par l’Évangile qu’il y a aussi une belle-mère et, sans doute, les épouses des deux frères. Si on ajoute les enfants et, peut-être, certains ouvriers, on devine qu’il devait y avoir du va et vient chez Pierre et André.
Difficile d’imaginer que Jésus se soit acheté un pied-à-terre à Capharnaüm. Quand il parle de rentrer à « la maison », tout porte à croire qu’il a fait du domicile de Pierre le « camp de base » de sa petite troupe comme le suggère Christine Pedotti. L’Évangile laisse entendre qu’il pouvait compter sur deux lieux de chaleureuse hospitalité où il avait chambre et couvert : chez Pierre en Galilée et, en Judée, dans la maison de Lazare, Marthe et Marie.

TISSER LES GENRES

Dans son tout dernier livre Jésus, cet homme inconnu (XO édition), Christine Pedotti tente d’imaginer, sources à l’appui, ce que pouvait être son « ministère » depuis Capharnaüm. Il faut cesser de penser que ses « deux années de mission ont été une marche incessante, reprise jour après jour » nous dit l’auteure. Il est plus vraisemblable d’envisager des « tournées de prédication » autour de Capharnaüm, avec, à chaque fois, un retour à « la maison ». C’est qu’à ses yeux, « Jésus n’est pas un prédicateur urbain ». Il néglige les grands centres de l’époque pour s’en tenir à des villages moins peuplés encore que Capharnaüm. Bien installé chez Pierre, elle le voit aussi répondre ici ou là « à l’invitation d’une famille amie ou à la sollicitation de telle ou telle personne qui lui demande d’intervenir en faveur d’un malade aimé ».
Remarquablement documenté et puisant aux meilleures sources de l’exégèse contemporaine, Christine Pedotti a fait le pari – réussi – de tisser deux genres littéraires. Elle propose en alternance des textes narratifs qui racontent la vie de Jésus et d’autres, explicatifs, où, en voix « off », l’auteure décrypte et commente les scènes, sans hésiter à faire se rencontrer des regards critiques discordants. Cela permet, par exemple, de mieux comprendre la portée concrète et l’enjeu théologique du retour à « la maison ».

Gabriel Ringlet

(17/01/2014)