Samedi 1 - Jacques Gaillot

Quelques minutes avec Jacques Gaillot : https://www.youtube.com/watch?v=1zTGjHYtRKs

La compassion pour les exclus

Gaillot 6Durant la pandémie, Mgr Gaillot a vécu le moment présent avec simplicité, humanité et tendresse. L’ancien évêque d’Evreux, surnommé « Monseigneur des autres », fait preuve depuis toujours de résilience. Après l’injuste révocation qui le frappe en 1995, il continue son chemin à la rencontre de celles et ceux qui sont loin de l’Église, de celles et ceux qui touchent son cœur parce qu’ils ont du mal à trouver leur place dans la société : les mal-logés, les sans-papiers, les prisonniers, les personnes homosexuelles, les exclus.

Lorsqu’il est reçu par le pape François, en 2015, il entend de lui des encouragements à continuer ses engagements : « Ce que je vis auprès des exclus peut être accueilli comme une mission épiscopale », se réjouit-il. Une mission qui se vit dans la rue ou le métro, dans un squat, une cellule de prison, ou une chambre d’hôpital. Ainsi, dans ses Carnets de vie, publiés en 2010, il raconte : « Un Kabyle s’approche de moi : "Vous me reconnaissez ? En 2003 je faisais la grève de la faim. Vous étiez venu me voir. Je me rappelle, j’avais les larmes aux yeux. Aujourd’hui, j’ai des papiers et un travail. À mon tour d’aider les autres." À ces paroles, je l’embrasse. »
Un peu plus loin, il ajoute : « Aujourd’hui, on est capable d’aller au secours des banques, mais on n’est pas capable d’aider les familles. L’humoriste Guy Bedos aime à rappeler une parole du chanteur Jacques Brel : "J’ai mal aux autres." Nous avons mal aux familles entassées dans des chambres d’hôtel, ou tout simplement expulsées avant la période de l’hiver. »
Ses prises de position n’ont jamais été dogmatiques, dictées d’en-haut par la hiérarchie catholique. Il garde, en toutes circonstances, sa liberté de penser et de s’exprimer. En France, le débat sur l’euthanasie oppose, parfois rageusement, les camps adverses. Mais avec la bienveillance qui le caractérise, il tient des propos pleins de nuances : « Il y a le respect de la loi qui interdit de tuer. C’est un principe fondateur. Mais la loi ne peut pas tout. Il y a le respect des malades qui peuvent se trouver dans des situations d’exception. Des situations d’exception qui n’entrent pas dans le cadre de la loi. Par humanité et par compassion, de telle situations n’invitent-elles pas à transgresser la loi ? La loi devrait envisager de telles exceptions. »
On le voit, la compassion, pour Jacques Gaillot est une pratique quotidienne.


 COMPTE-RENDU

« En blessant l’homme, on blesse Dieu. »

En ce 23 octobre 2021, les Samedis du Prieuré ont enfin repris en présence réelle. Mgr Jacques Gaillot, évêque de Partenia, a ouvert cette saison consacrée au thème de la compassion avec beaucoup d’humanité. S’il dit, avec un brin d’ironie, qu’il est arrivé à un âge où il devrait se taire, on se réjouit qu’il ait fait une exception pour nous. Sa parole, inspirée par l’Évangile est toujours aussi libre et jubilatoire.

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Depuis 22 ans, Mgr Gaillot vit avec la communauté des Spiritains, à Paris, une ville qu’il aime parce qu’elle est toujours grouillante de monde, et qu’il peut y rencontrer beaucoup de gens de passage dans la capitale. Durant le confinement, les prêtres de cette communauté ont dû prendre en charge les tâches quotidiennes d’entretien. Il se dit heureux d’avoir redécouvert la vie ordinaire toute simple, avec les autres. Il vit le moment présent et se souvient du verset 12 du psaume 89 : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours et que nos cœurs pénètrent ta sagesse. » Chaque jour est en effet suffisant, chaque jour est magnifique et a sa part de lumière.
Cela ne l’a pas empêché de compatir avec tous ces gens qui souffraient de ne pas pouvoir vivre normalement, travailler, voyager, se rencontrer.
De plus, le confinement a renforcé les inégalités. Il pense à cette femme qui vivait dans une seule pièce avec deux garçons de huit et dix ans. D’ordinaire les enfants avaient un repas à la cantine, mais à présent, comment faire ? Heureusement des jeunes du quartier se sont mobilisés pour lui apporter, à elle comme à d’autres, des colis repas.
Enfin, il observe avec tristesse combien l’Église est confinée. Pour lui, l’Église est faite pour être en sortie. Il y a ceux qui se plaignent d’être privés de l’eucharistie, de la messe, mais il y a ceux aussi qui ont innové, qui ont redécouvert la prière et le partage de la Parole de Dieu en famille.

Le temps des apprentissages

 

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Heureux d'avoir découvert la vie ordinaire en prenant
en charge des tâches d'entretien durant le confinement.

Lorsqu’il était enfant, durant la guerre, et que tout le quartier trouvait refuge dans sa cave pendant les alertes, il a été surpris de voir que les gens se mettaient à prier quand l’heure était grave. C’est aussi dans un monastère de religieuses situé près de chez lui qu’il a découvert la beauté de la liturgie. C’est cette beauté des célébrations qui lui donne le désir de devenir prêtre. À 19 ans, il entre au séminaire de Langres, il y découvre la Bible et des auteurs spirituels comme sainte Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, le père de Foucault. Ce temps d’ensemencement et de ressourcement est capital. Et puis, à 22 ans, il est envoyé à Fréjus, pour faire ses classes dans l’infanterie coloniale : « Ça ne rigolait pas ! Beaucoup de sport et de discipline pour nous préparer à l’Algérie. On se retrouvait à 62 dans des baraquements et on dormait dans de grands dortoirs. » Après quatre mois d’apprentissage, il est envoyé en Algérie où il reste deux ans et comme il ne veut pas prendre les armes, il se porte volontaire pour des tâches de pacification. À Alger, on l’initie à l’islam, à la langue et à la culture du pays, avant de l’envoyer à Sétif, la ville rebelle depuis toujours. Il doit s’y occuper de la population, veiller à ce qu’elle ait accès à l’eau potable, à l’éducation.
Il se souvient qu’un jour, trois hommes ont surgi sur la piste et arrêté son véhicule. Ils voulaient qu’il conduise à l’hôpital un des leurs qui était malade. Contre toutes les règles de sécurité qu’on lui avait enseignées, il les suit dans les collines. L’homme malade était très maigre et paralysé. Les femmes présentes le supplient de l’emmener à l’hôpital pour qu’il soit soigné. Il y avait trois quart d’heures de piste pour y arriver et il tente de les dissuader : l’homme allait mourir en route. Il y avait un tel attachement, un tel amour pour cet homme qu’il ne peut pas dire non. On bricole un brancard et on le transporte jusqu’à la Jeep. Vingt minutes plus tard, cet homme est mort dans ses bras. Il le ramène aux siens qui le remercient d’avoir tenté l’impossible. Ce qu’il retient de cet événement, c’est la solidarité que peuvent manifester les gens, leur bonté, leur gratitude.
DSC 0072En Algérie, il se plait à dire que c’est comme s’il avait fait un autre séminaire. Il y a appris l’islam. Il est en admiration devant ces villageois qui n’avaient pas de mosquée ni d’immam, et qui vivent simplement leur foi en Dieu. Depuis, il reste très lié aux musulmans. Leurs fêtes sont aussi les siennes. Il y apprend la non-violence. Devant la violence, la torture, les embuscades, il comprend que la violence appelle la violence et ne conduit pas à la paix.
Après vingt-huit mois passés en Algérie, il rentre en France et puis est envoyé à Rome faire une licence en théologie. C’est une belle période de printemps. Jean XXIII ouvrait les fenêtres, les chrétiens respiraient et préparait le concile. Beaucoup de gens, d’horizons différents affluaient et cette ouverture aux autres cultures lui fait du bien.

Un évêque bousculé par les événements

En 1982, à l’âge de 47 ans, il est nommé évêque à Évreux. Il ne voyait pas bien où c’était et il a dû regarder sur une carte dans le dictionnaire. C’était une vraie surprise, pour lui tout d’abord, et ensuite pour ses diocésains qui vont apprendre à le connaître. Les événements viennent en effet très vite le bousculer. Quelques semaines après sa nomination, un procès s’ouvre à Évreux pour un objecteur de conscience, un jeune vétérinaire qui refusait de faire son service militaire parce qu’il était non violent. Celui-ci l’invite à assister à son procès. L’avocat de la défense a souligné la présence de l’évêque du lieu parmi ses soutiens. « Ça a fait le plus mauvais effet, souligne-t-il, et je m’en suis excusé auprès de ce jeune, puisqu’il a été condamné à la plus lourde peine jamais vue en France. » Heureusement l’affaire se termine bien en appel. Mais dans la presse, on souligne le faux pas de ce jeune évêque qui ne soutient pas l’ordre établi et même l’aumônier militaire n’est pas content, mais il ne regrette rien. Il a pris ce risque et se devait d’être là, par fidélité à ses convictions non violentes.

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Comment il est devenu l'évêque rouge.

Le second événement marquant du début de son épiscopat est son soutien à une jeune homme d’Évreux, coopérant en Afrique du Sud, et qui s’était retrouvé en prison pour avoir combattu l’apartheid. Ses parents, communistes, lui ont demandé d’aller lui rendre visite là-bas. Il obtient un visa valable pour un aller-retour en Afrique du Sud, le 17 juillet. Hélas, c’est le jour où il doit accompagner un train de pèlerins à Lourdes. Que doit-il faire ? Accompagner les centaines de pèlerins, les malades, les prêtres qui comptent sur lui, ou les abandonner pour aller voir un communiste en prison à l’autre bout du monde. Alors, il pense à la parabole de la brebis perdue et trouve sa réponse. Ce fut une belle rencontre, mais il a dû s’expliquer de son choix devant la presse. Peu de temps après, le jeune a été libéré, mais Mgr Gaillot l’affirme : il n’y est pour rien ! Toujours est-il qu’on lui rappelle qu’il a été nommé pour les chrétiens et pas pour les communistes. Depuis ce jour, il est devenu l’évêque rouge.
Aujourd’hui encore, il se rend très souvent dans les prisons. Il ne demande jamais aux détenus ce qu’ils ont fait. Il leur offre une écoute inconditionnelle. Il a gardé des contacts avec des prisonniers condamnés à de longues peines ou à perpétuité. « La perpétuité est une peine de mort déguisée », dit-il. Récemment, à sa demande, la communauté des Spiritains a accueilli un prisonnier en liberté conditionnelle. Il a été magnifiquement accueilli, comme un frère, et beaucoup ont découvert ce que vivait un prisonnier privé de sa famille et de son pays. Ça s’est bien terminé pour lui et sa présence a fait du bien à la communauté.

L’humain est au centre

DSC 0080Dans toutes ses prises de parole, abondamment relayées par les médias, l’évêque d’Évreux met l’humain au centre. Mais ses interventions irritent les autres évêques. On lui reproche d’aller contre l’unité de l’Église. Le 13 janvier 1995, il est démis de ses fonctions et transféré à Partenia, un diocèse disparu qui se trouvait sur les plateaux de Sétif, là où il avait fait son service militaire. En sortant du Vatican, il revient sur la place Saint-Pierre et prie sur la tombe de l’apôtre. Il y puise l’énergie de rebondir, d’aller de l’avant. C’était un chemin nouveau qui s’ouvre devant lui, un chemin inconnu, une nouvelle aventure. À ses diocésains, il écrit : « Je cesse de vous servir, mais je ne cesse pas de vous aimer. » Et pendant que la colère monte et gronde en France et à l’étranger, le nouvel évêque de Partenia garde son calme coutumier et une sérénité incroyable.
Vingt ans plus tard, le pape François l’appelle lui-même sur son portable. À trois reprises, il tombe sur sa messagerie vocale et lui laisse un message : « Monseigneur Gaillot. Moi, je suis le pape François. Je serais content de vous rencontrer et de parler avec vous. Je vous retéléphonerai. » L’évêque en disgrâce lui écrit et rendez-vous est pris pour le 1er septembre 2015. Accompagné de Daniel Duigou, prêtre de la paroisse Saint-Merry à Paris et ancien journaliste, il se rend à la résidence Sainte-Marthe où le pape habite parmi les hôtes de passage. Quand le pape entre, il vient vers lui en le saluant d’un : « Nous sommes des frères ! » Ils se parlent en français. Mgr Gaillot le remercie : « Je suis heureux que vous m’ayez invité, mais je dois vous dire que ceux à qui je l’ai dit sont encore plus heureux que moi. » Tous ceux qui partagent ses combats, ses engagements, tous les exclus qu’il soutient, se sentent enfin reconnus. « Le pape était content », précise-t-il en souriant. Il lui explique qu’il lui arrive de bénir des couples de divorcés remariés ou d’homosexuels. Le pape lève alors les bras et dit : « La bénédiction, c’est dire la bonté de Dieu, à tout le monde, sans exception. » La conversation se poursuit sur un ton bon enfant durant une heure. Le pape se sentait bien parce qu’on n’avait rien à lui demander. Jacques plaisante : « C’est la première fois, dans ma vie, que je suis plus âgé qu’un pape. » « Oui, mais vous gardez la jeunesse du cœur », lui répond François. En sortant, le pape les regarde partir, un peu triste, on aurait dit qu’il avait envie de les accompagner à la trattoria. Mais bon, il fallait bien qu’il reste là pour garder la maison…

Mettre ses mains dans les plaies de Jésus

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La compassion, c'est avoir mal à l'autre
(avec Jacques Brel).

Lorsqu’il évoque la compassion dans sa carte blanche, Mgr Gaillot se réjouit de la nouvelle traduction liturgique qui a remplacé l’expression « être pris de pitié » par « saisi de compassion ». C’est un beau mot qu’il ne faut pas avoir peur d’employer. L’Église orthodoxe l’utilise souvent, comme le Dalaï Lama ou le pape François. Exprimer sa compassion, c’est « avoir mal aux autres », comme le disait Jacques Brel, c’est porter avec lui sa souffrance, comme une maman le fait pour son enfant. Il y a, dans une prière du bréviaire, une hymne magnifique, cette phrase : « Qui donc est Dieu qu’on peut si fort blesser en blessant l’homme ? » En blessant l’homme, on blesse Dieu. L’Évangile révèle un Dieu humble, démuni, qui ne sait pas tout, qui ne peut pas tout, et qui se laisse faire par les autres. Et Dieu est pauvre parce qu’il ne peut rien garder pour lui, il ne peut que se donner. Exister pour Dieu, c’est se donner. Dieu est un pur regard vers l’autre. Ce n’est pas évident de se convertir à cette image de Dieu.
Le rapport Sauvé, sur les abus sexuels commis au sein de l’Église de France, vient de révéler l’ampleur de ce crime contre l’humanité. Dieu ne peut que souffrir de cela. Ce sont des blessures pour Dieu. Comme ces migrants que l’on refuse d’accueillir, qui sont ballottés de pays en pays ou qui meurent en Méditerranée, quelle honte ! C’est cela aussi la blessure de Dieu.
Monseigneur Gaillot aime à répéter que Noël, c’est la fête de l’homme, de son incomparable dignité. Puisque Dieu prend visage d’homme, Dieu entre dans l’histoire humaine, il se fait l’un de nous.

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Ce crime contre l'humanité.

Être chrétien, c’est avoir la passion de l’homme. Ce qui est premier, ce n’est pas la pratique religieuse, mais la solidarité avec le frère. Et tant mieux si tant de frères non chrétiens partagent cette même conviction.
Toutes ces blessures que l’on inflige à Dieu devraient nous inciter à avoir de la compassion pour lui. Et comme Etty Hillesum, il faut aussi l’aider, lui trouver un toit où il pourra être accueilli, même au cœur de l’enfer des camps de la mort.
Mettre ses mains dans les plaies du crucifié, comme l’a fait l’apôtre Thomas, c’est mettre ses mains dans les plaies des blessés de la vie, ceux qui n’ont pas d’avenir, pas de papiers, pas de logements, pas de famille, ceux qui ne sont pas aimés, car « ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». Avoir de la compassion pour eux, c’est avoir de la compassion pour Dieu.

***

ÉVOCATION

DSC 0082Seigneur, tu nous appelles à la radicalité.
L’esprit de ton évangile n’est pas dans la facilité, pas dans l’ordre établi.
Merci de nous avoir donné d’entendre Jacques Gaillot,
lui qui concilie parfaitement le dire et le faire,
lui qui a remisé au placard des objets inutiles, La crosse et la mitre des évêques.
lui qui prend des risques divers en humanité,
lui qui visite les prisonniers et les gens de la rue, les brebis perdues et les exclus  qu’il emmène avec lui jusqu’au Pape François, qui les accueille dans le silence.
C’est cela la compassion, tout simplement !
Seigneur, souhaitons  nous, les uns les autres, de voir comment, n’étant pas évêque de Partenia, nous pouvons, dans notre vie concrète, intégrer cette radicalité de l’Évangile.
Marie Cénec dans L'insolence de la parole écrit : « Je comprends que suivre Jésus, ce n’est pas lui emboiter le pas, mais se laisser porter par l’élan de sa voix et la force de ses mots… »
Et cela peut nous mener loin, très loin ! Merci Jacques, merci Seigneur.

 

 

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En blessant l'homme, on blesse Dieu.


Lien vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=1zTGjHYtRKs

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Interview : Jean Bauwin
Compte-rendu : Jean Bauwin
Évocation : Thierry Marchandise
      Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/
      Photos : Chantal Vervloedt-Borlée
(23/10/2021)

 

 

 

Samedis du Prieuré