Mercredi des Cendres avec Yves Duteil (26/02/20)

DSC 0034Ce Mercredi des Cendres 2020 restera un des grands moments vécus au Prieuré, une célébration toute en douceur, en tendresse, en profondeur et en poésie, grâce à la présence généreuse d’Yves Duteil. Il a offert aux quelque deux cents personnes présentes de nombreuses chansons, des confidences, un message d’amour et d’espérance. « Yves Duteil chante l’essentiel : l’amour, la liberté et l’amour de la liberté », dit de lui le chanteur Renaud. Il a raconté son parcours et celui de ses chansons, qui sont devenues parfois plus que des chansons : des hymnes ou des étendards. Ses textes et ses musiques ont ensuite émaillé la célébration du « prendre soin de nos naissances et de nos morts ». Le Mercredi des Cendres est en effet traditionnellement le moment où le Prieuré fait mémoire des morts de l’année. Le guitariste Quentin Dujardin, les Muses et leurs musiciens ont dialogué en polyphonie avec le chanteur, faisant de cette célébration un moment magique, hors du temps, où nos chers disparus ne l’étaient plus. Les chansons, a-t-il expliqué, n’ont pas le pouvoir de changer le monde, mais elles ont le pouvoir de rassembler des gens, de les fédérer autour d’un message. Ce soir-là, après la célébration, Yves Duteil a rassemblé autour de lui, tous ceux qui ont voulu prolonger ce moment enchanté, en reprenant en chœur Le passeur de lumière.

Compte-rendu

Les mots justes et pas juste les mots

DSC 0091C’est avec La langue de chez nous que le poète et chanteur Yves Duteil a ouvert la soirée. Cet amoureux des mots raconte comment il a écrit cette chanson après avoir rencontré Félix Leclercq, qui lui a fait part du combat des Québécois pour défendre la langue française. Quand il l’a chantée pour la première fois au Québec, il a reculé sous le souffle du public, tellement la réaction était forte. Sa maman lui a offert les mots et la musique. Cette initiation est une histoire d’amour : « On retient par cœur ce qui vous rentre dans le cœur. Le français est rentré dans mon cœur. »

Yves Duteil est le contraire de ce que son père était, un homme douloureux, taiseux et peu doué pour la tendresse. Lorsque son père est en fin de vie, le chanteur annule sa participation à un gala pour passer la soirée à son chevet. Il lui parle des choses les plus intimes, il fait la paix avec lui, lui dit qu’il était un bon père, qu’il avait mis tout son amour dans ce qu’il avait fait pour ses enfants. « Il pouvait être fier de sa vie et j’étais fier de lui, confie-t-il avec émotion, je savais qu’il nous avait aimés. Mon père était dans le coma, mais j’étais sûr qu’il m’entendait, que ma voix traversait les armures de son cœur. »

Au moment de choisir des études, Yves fait ce que ses parents espéraient qu’il ferait, des études de sciences-économiques pour reprendre ensuite la bijouterie familiale et faire du commerce. « Mais je suis juste capable de compter les mesures quand je chante ! » Il déserte donc rapidement les cours pour suivre le petit conservatoire de Mireille. « La musique a gagné ! » En 1972, il rencontre Noëlle, qui deviendra sa compagne de vie. « Elle a allumé la lumière dans ma vie. Elle m’a appris qu’on peut vivre autrement, exprimer ses sentiments, les libérer, les vivre. J’ai beaucoup appris en regardant son regard. Elle a tourné mes yeux vers l’essentiel. Elle est aussi ma plus grande admiratrice et ma plus grande exigence. »

DSC 0237Des chansons qui sont plus que des chansons

En 1987, sa chanson Prendre un enfant par la main est élue meilleure chanson du XXe siècle. Son succès le dépasse et atteint un rêve qu’il n’avait même pas osé caresser. Sa chanson devient un symbole de la lutte contre la maltraitance des enfants. Il en va de même avec Pour les enfants du monde entier que François Saussus, alors âgé de 12 ans, chante aux funérailles de Julie et Mélissa. « Ce fut un moment magique, à la fois religieux et laïque, spirituel et sensible. Cette chanson m’apporte des surprises jour après jour. » En y chantant l’intime, il rejoint l’universel et, ajoute-t-il, « comme souvent, seule la chanson permet de dire l’indicible ». Mais que fait-on après avoir atteint le sommet ? « C’est comme être pape », dit-il avec le sourire en coin.

Alors, il décide de devenir l’homme de ce qu’il porte dans ses chansons. « La poésie, on pense que ce sont de jolis mots, ce sont plutôt des mots justes. La poésie est d’autant plus forte qu’elle s’ancre dans le réel. » Il s’engage alors en faveur de différentes causes : les enfants malades, la recherche sur les maladies orphelines, l’environnement. Dans son village de Précy-sur-Marne, il lutte contre l’implantation d’une décharge. C’est donc tout naturellement qu’il en sera élu maire de 1989 à 2014. Il recevra la Marianne d’or qui récompense le meilleur maire de France. Il peut en être fier, son travail sur les zones habitées inondables a permis de résorber 98 % de cette zone. Son travail de lutte contre les incendies de forêt, où il se met à l’écoute des gens de terrain, finira par inspirer une loi au niveau national. « Nous étions des forestiers parmi les forestiers. »

DSC 0083Des amis inspirants

Ses mélodies sont plus complexes qu’il n’y paraît, les Muses vous le confirmeront. « Le travail est là pour faire oublier le travail. On ne doit plus le voir, comme c’est le cas pour les danseurs sur glace. Je vais toujours chercher mes mélodies là où on ne m’attend pas. » Il travaille beaucoup ses musiques, jusqu’à enregistrer une centaine de versions avant de trouver le bon accord.

Gabriel Ringlet l’invite ensuite à évoquer ses amis de toujours. Avec Georges Brassens, il apprend que le secret d’une chanson rapide, c’est de la faire lente. Celui-ci le met aussi en garde contre les pièges du métier. Véronique Sanson et lui sont comme deux dauphins qui nagent dans des eaux différentes, mais qui sautent régulièrement pour se rejoindre. Renaud est un compagnon de route et de lutte. « On a parfois l’impression que tout nous sépare, mais il faut se méfier des clichés qui font de nous des rivaux. On a partagé tout ce qu’on avait en commun. » Enfin, il y a Barbara, installée elle aussi à Précy-sur-Marne et qui devient donc son administrée. Yves Duteil raconte quelques anecdotes qui témoignent de son caractère fantasque, mais surtout de son infinie générosité et de son engagement pour les sidéens. Lors de ses funérailles, après le départ des personnalités, le public a entonné Dis, quand reviendras-tu ? Ce fut le véritable adieu du public à Barbara, ses vraies obsèques.

Yves Duteil est aussi le petit-neveu d’Alfred Dreyfus pour qui il écrira une magnifique chanson qui met en avant l’homme qui se cache derrière l’affaire. L’affaire était un sujet tabou dans la famille de son père. C’était trop douloureux d’en parler. C’est donc une raison pour la chanter. Il se documente, écrit son texte, le fait valider par sa tante et par la petite-fille de Dreyfus et la chanson sort au moment de la célébration du centenaire de « J’accuse », la lettre d’émile Zola qui dénonce tous les vrais coupables. Le chanteur veut perpétuer la mémoire de l’innocence de Dreyfus. Lors de ces commémorations, Jacques Chirac saluera sa mémoire. Et après l’État, ce sera l’armée qui lui rendra enfin les honneurs sur les lieux-mêmes de sa dégradation. Ce fut là, le vrai épilogue de l’affaire.

Avec La chanson des justes, il évoque un autre sujet indicible : la shoah. Beaucoup de membres de sa famille sont morts dans les camps. Pour en parler, il faut trouver les mots justes : « Dans ce voyage infernal où tant d’âmes ont sombré, celui qui sauve une étoile éclaire l’univers tout entier. » Il travaille durant un mois, presque jour et nuit sur le texte. « Les Justes, au fond, ce sont juste des gens bien. »

DSC 0073Le pire serait de ne pas vieillir

Il évoque aussi ses ennuis de santé. En 2013, il est opéré à cœur ouvert. Sa vie change. Son boulot prioritaire, qui canalise toute son énergie, c’est de guérir. Après cet « arrêt mélodie » qui le tient éloigné de la scène, il abandonne la mairie de son village pour se concentrer sur ce qu’il fait de mieux : l’écriture. « Quand on écrit une chanson, on touche beaucoup de monde. On rassemble des gens que tout sépare. Je suis redevenu essentiellement artiste. J’ai nettoyé ma vie pour avoir l’âme légère, écrire, composer, être un saltimbanque et rêver utile. »

Pour l’aider à vivre cette épreuve, il peut compter sur Noëlle qui, là aussi, l’avait précédé. Elle a souffert d’une terrible maladie et s’en est sortie. « J’ai appris, en la regardant vivre, que pour guérir, il faut avoir envie de vivre. Je crois à la pensée positive. On peut essayer de voir le côté positif de ce que la vie nous impose. Quand on traverse le pire, on n’est jamais à l’abri du meilleur. Penser vers la lumière, cela aide à l’atteindre. Si personne ne rêve le monde de demain, il n’adviendra pas. Il faut rêver plus haut, pour que le monde, un jour, ressemble à notre rêve. Il faut parfois butiner le mal pour en faire le meilleur miel de la terre. »

Et c’est lorsque Noëlle est au plus mal qu’il se surprend à prier pour elle. « Je ne savais pas que j’étais croyant. J’ai prié Marie et depuis, je ne suis plus jamais seul. » Sur le plan spirituel, Yves Duteil se tient loin de l’Église. Il a du mal à entrer dans la Bible. Il s’ouvre à d’autres façons de penser. « Je ne suis pas bouddhiste, plutôt jusqu’aubouddhiste… » Il y a chez lui, une soif de spiritualité, d’immatériel. La chanson est du domaine de l’indicible parce qu’elle est de l’ordre de l’immatériel. À l’heure où toutes nos valeurs cardinales sont menacées, que reste-t-il ? L’amour. « C’est le ciel du dedans. » L’amour est ce que l’on peut donner de plus précieux et ceux qui ne savent pas donner, ne savent pas ce qu’ils perdent.

 

Bibliographie :
Yves DUTEIL, Les choses qu’on ne dit pas, L’Archipel, 2006.
Yves DUTEIL, La petite musique du silence, Médiaspaul, 2013.
Yves DUTEIL, Et si la clé était ailleurs, Médiaspaul, 2017.

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Interview : Gabriel Ringlet
Compte-rendu : Jean Bauwin
Photos : Chantal Vervloedt-Borlée
(26/02/2020)

 

 

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