Samedi du Prieuré : Mehdi Kassou (24/11/18)

ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Mehdi Kassou : Faire de la politique par l'action

Mehdi Kassou, le porte-parole de la Plateforme citoyenne de Soutien aux Réfugiés, fait de la politique par l’action. En mobilisant un maximum de monde autour de la cause des réfugiés, il fait bouger les choses de façon bien plus efficace que s’il était dans un parti politique.

181128Ça démarre dans la peur. Ça se termine dans l'amour.

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181203Mehdi fait carrière dans une grande société (de téléphonie mobile) et puis, un jour, il découvre le parc Maximilien.

Mehdi Kassou est né d’une mère belge et d’un père marocain : deux familles, deux cultures, deux obédiences qu’il considère aujourd’hui comme des sources de richesse, même si ça n’a pas toujours été facile à vivre pour lui. Il se souvient que dans l’école flamande où il était inscrit, il était le seul Wallon d’origine marocaine. Il étudie ensuite la communication, s’essaie au journalisme, avant de faire carrière dans une grande société où il gravit les échelons. Et puis un jour, il découvre le parc Maximilien, un condensé de misère en plein Bruxelles : « On y voit ce que la Belgique a de pire à montrer. » C’est un choc émotionnel et il rejoint le mouvement qui s’occupait déjà des migrants sur place. Sa vie ne sera plus jamais pareille.

Il évoque pour nous la figure de son grand-père Mohamed qui est arrivé en Belgique dans le cadre d’accords migratoires. C’est un homme brillant, intelligent, autodidacte. Il a une vision progressiste du monde. En Belgique, il ouvre des mosquées, jette des ponts entre les différentes communautés religieuses et dénonce l’arrivée du wahhabisme et du salafisme qui transmettent un islam radical. Il répète à son fils : « N’impose jamais à tes enfants ce que tu as vécu, parce que vous ne vivez pas à la même époque. » Et quand ce dernier a voulu épouser une fille belge, il a défendu le droit à l’amour.

DSC 0066C’est de son grand-père aussi que Mehdi Kassou a appris à ne pas subir les interprétations du Coran héritées du passé. C’est à chacun de l’interpréter en fonction de son époque et de ses expériences. Il ne faut pas oublier le tout premier verset du Coran qui invite à lire, à comprendre par soi-même. Le texte doit être replacé dans le contexte qui l’a révélé. Mehdi préfère lire le Coran en arabe, même si la langue est parfois difficile à comprendre. Il constate que lorsqu’on lit le Coran en traduction française, on a l’impression d’un code civil, mais lorsqu’il est psalmodié dans sa langue originelle, on ne peut qu’être ému par ses sonorités, car le texte est écrit en vers.

Son père a donc épousé une Belge au parcours peu commun puisqu’elle s’était convertie à 17 ans à l’islam. Mais Mehdi n’est pas élevé dans un carcan religieux. Il se définit comme un dubitatif et se reconnait dans la phrase de Renan : « Le doute est un hommage que l’on rend à la vérité ». Il ne peut se résoudre à une croyance ferme et définitive, il continue donc à s’interroger, à lire et à se poser des questions. Il nomme son petit garçon : Sami Mohamed Élie. Sami parce que c’était un des prénoms sur lesquels la maman et lui étaient d’accord ; Mohamed parce que c’était le nom de ses deux grands-pères ; et Élie pour faire un pied de nez à tous les antisémites de son entourage. Parmi ses proches, Mehdi compte beaucoup de Juifs. Sa culture religieuse l’a toujours protégé du fondamentalisme. « Le premier venu peut faire croire n’importe quoi à celui qui n’a pas d’éducation religieuse », dit-il.  C’est pourquoi il raconte à son fils les histoires des trois grandes religions, beaucoup plus proches l’une de l’autre qu’on ne peut l’imaginer, mais il ne lui impose pas de formation religieuse. Et lorsqu’il veut se ressourcer, Mehdi se coupe du monde pendant un mois. Il lit alors beaucoup, se recentre et débat avec lui-même.

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Le parc Maximilien ? - Suivez l'étoile.

Résister

Héberger des migrants n’est pas seulement un acte de citoyenneté et d’humanité, c’est de plus en plus un acte de résistance. Mehdi Kassou a rencontré une hébergeuse de 92 ans, fille de résistants qui avaient caché des enfants juifs. Pour elle et pour beaucoup d’autres, cet engagement est une façon de résister à la politique migratoire menée en Belgique (ou à l’absence de politique migratoire). Le projet des visites domiciliaires n’a d’ailleurs fait qu’exacerber ce sentiment.

Pour propager l’épidémie positive de solidarité qui s’est créée autour du parc Maximilien, il est important de répandre les témoignages de gens qui accueillent des migrants, notamment via les réseaux sociaux. Au départ, ce sont des inconnus qui rencontrent des inconnus. La peur est de chaque côté, mais cela finit dans l’amour et la tolérance. Tout est fait au niveau politique pour que les migrants ne se sentent pas bien en Belgique et que la Belgique ne se sente pas bien avec les migrants. C’est ce regard que Mehdi Kassou veut changer. Il y a des discours qui tuent. Quand on renvoie des gens chez eux, il arrive qu’on les renvoie à la mort. En Italie, on parle ouvertement de créer des camps où l’on concentrerait les Roms pour les compter. Dans l’histoire, tous les populismes se sont finis dans un bain de sang, rappelle-t-il. Pour déconstruire ces discours, il faut d’abord déconstruire la peur en soi et en faire part autour de soi.

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Ce que l'enfant apprend, c'est comme un trait gravé dans la pierre. ce que l'adulte apprend, c'est un trait gravé dans l'eau.

Se mobiliser

Mehdi Kassou constate que dans beaucoup de partis, des élus tiennent des discours qui pourraient élever le débat. S’ils se concertaient et parlaient d’une même voix, ils pourraient éviter de laisser le champ libre au populisme et à la NVA. À cet égard, la Belgique devrait signer le pacte des migrants, car même s’il n’est pas contraignant, il ouvre des pistes de réflexion. Le signer, c’est montrer qu’on adhère aux valeurs qui y sont prônées. Il ne faut pas laisser à la NVA la possibilité de montrer au monde que la Belgique se replie sur soi. Ce pacte insiste notamment sur l’accès à la justice. Comment un sans-papier peut-il aller porter plainte contre un viol ou une agression, quand il sait qu’il risque d’être expulsé du pays s’il rentre dans un commissariat ?

DSC 0001Aujourd’hui la plateforme est devenue un acteur incontournable de l’accueil et de l’orientation des migrants. Sa vocation n’est pas de durer, mais ce n’était pas non plus celle des Restos du Cœur et pourtant, trente ans après leur fondation, ils sont toujours bien nécessaires. Sa capacité de mobilisation extraordinaire a déjà permis de faire bouger des choses. La porte d’Ulysse est un hébergement de nuit pour 350 personnes qui est à présent subsidié par la région bruxelloise. Chaque jour, 250 autres personnes sont accueillies chez des hébergeurs. Mehdi Kassou met ses compétences de management au service de l’association pour la structurer de façon efficace, pour permettre à chacun d’aider selon ses compétences. Un autre défi est de sensibiliser le monde flamand à la cause. Depuis huit mois en effet, la plateforme communique de façon active vers le nord du pays et les gens s’engagent en nombre, mais ils ont du mal à se montrer. C’est encore tabou.

En attendant que le monde politique se bouge, chacun peut apporter son aide en soutenant financièrement la plateforme, en partageant des témoignages, ou en rejoignant le groupe des chauffeurs ou celui des hébergeurs.



Pour soutenir l’action de Medhi Kassou, voici plusieurs suggestions :

Les dons sont les bienvenus sur le compte BE04 5230 8077 7231
Consultez la page www.bxlrefugees.be
Partagez les récits d’accueillants que l’on trouve sur : http://www.perlesdaccueil.be /
Signez une pétition citoyenne sur https://weareawelcomingeurope.eu/fr/
En voici le texte :

  1. Des citoyens de toute l’Europe souhaitent parrainer des réfugiés pour leur offrir un foyer sûr et une nouvelle vie. Nous voulons que la Commission offre un soutien direct aux groupes locaux venant en aide aux réfugiés qui se voient délivrer un visa national.
  2. Nul ne devrait être poursuivi ou se voir infliger une amende pour avoir apporté une aide humanitaire ou un toit. Nous voulons que la Commission empêche les États membres de punir les citoyens solidaires.
  3. Tout le monde a droit à la justice. Nous voulons que la Commission garantisse des moyens et des règles plus efficaces pour défendre toutes les victimes de l’exploitation par le travail et de la criminalité en Europe, ainsi que toutes les personnes victimes de violations des droits de l’Homme à nos frontières.


Voir plus de photos : https://photos.app.goo.gl/gnXXqYFDhupRF6Fa8

 

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Mehdi, un dubitatif, et les trois grandes religions, beaucoup plus proches l'une de l'autre qu'on peut l'imaginer.

Interview : Bernard Balteau

Texte : Jean Bauwin

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

Photos : Chantal Vervloedt-Borlée

(24/11/2018)

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