Samedi du Prieuré : Isabelle Cassiers (18/03/17)

ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Isabelle Cassiers : La frugalité joyeuse


Ce samedi 18 mars 2017, le Prieuré recevait Isabelle Cassiers, économiste de renom, une femme engagée qui recherche de nouveaux modèles économiques pour nous permettre de rester humains dans le chaos du monde. Sa recherche spirituelle la conduit à asseoir une prospérité commune sur cinq valeurs que partagent toutes les sagesses.

Isabelle Cassiers a beaucoup voyagé durant sa prime jeunesse. Elle est fille de diplomate et passe une enfance tranquille, dans un cocon douillet, aux États-Unis comme à Rome, avant de séjourner en Éthiopie. Là, elle découvre l’extrême pauvreté. Quand sa maman lui demande ne pas faire étalage de ses poupées, elle comprend qu’elle fait partie des riches et cela crée chez elle un malaise qui la questionne beaucoup. Elle y est aussi littéralement terrassée par la beauté de la nature et des animaux sauvages. Son souci de lutter contre les inégalités sociales et son combat pour le respect de la nature, trouvent donc leur origine dans cette enfance qu’elle qualifie de « dorée ».

« Se rendre disponible à l'inconnu. »

De sa maman très croyante, elle reçoit des morceaux d’Évangile et, si elle n’adhère plus à la foi telle qu’une certaine Église catholique l’enseigne, elle redécouvre aujourd’hui ces textes avec un autre regard, après un détour par le taoïsme et le bouddhisme. Elle relit la prière de Charles de Foucault, « Mon Père, je m’abandonne à toi », comme une invitation à lâcher prise, tandis que notre égo nous ramène constamment dans la résistance. S’abandonner dans les mains du Père, c’est s’en remettre à l’élan vital, à la vie, plutôt qu’à l’égo. Le lâcher prise n’est pas de la résignation, mais on ne peut changer le monde que si on y est pleinement, totalement présent à ce qui est. Il y a aussi, pense-t-elle, un dessein, un plan divin, une conscience globale que l’on ne peut pas nommer et qui nous dépasse. Il faut se ménager une espace pour se rendre disponible à l’inconnu, « au sein duquel la métamorphose peut se produire », comme le disait Eckhart Tolle.

 

Choisir l’économie pour sa diversité

Au moment de choisir ses études universitaires, tout l’intéresse, elle hésite entre la philosophie, les mathématiques ou la médecine. Elle rêve de devenir psychiatre parce que les écorchés vifs serrent au plus près l’âme humaine. Mais elle choisit l’économie, poussée par ses parents, et attirée par la diversité nourrissante du programme de ces études. Intéressée par le développement, par le contraste entre les riches et les pauvres, elle s’oriente vers l’économie du développement et l’économie sociale. Jean-Philippe Peemans, son maître à penser, l’invite à travailler sur l’histoire de l’économie parce que pour comprendre les lois économiques, il faut les resituer dans leur contexte global et les encastrer dans le social, le politique et l’écologique.

En 2005, elle met sa carrière universitaire en pause durant un an. Elle écrit que « la croissance ne fait pas le bonheur, mais les économistes le savent-ils ? » À partir de ce moment, elle n’écrira plus que sur des sujets qui la touchent, et fonde un groupe informel avec lequel elle écrira deux livres : Redéfinir la prospérité. Jalons pour un débat public et Vers une société post-croissance. Intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux, tous les deux aux éditions de l’Aube.

 

« L'économie décrit un monde et elle le fait apparaître. »

Une économiste inévitablement engagée

Philippe De Villé, un autre de ses maîtres à penser, lui fait prendre conscience que l’économie est une science à la fois positive (explicative, qui explique objectivement ce qui est) et normative (qui décrit ce qui doit être). L’économie décrit un monde où les êtres sont égoïstes, insatiables et en lutte les uns avec les autres et, ce faisant, elle fait apparaître le monde dont elle parle. Si on annonce que dans deux jours, la bourse va chuter, tout le monde va vouloir vendre ses actions et elle va chuter. Le monde est donc devenu insatiable, égoïste et dur, tel que les manuels d’économie le décrivent. Mais l’économie devrait pouvoir prendre en compte la part altruiste, frugale et généreuse qui existe aussi dans l’homme.

Il n’y pas de posture neutre possible quand on étudie les sciences sociales. On colle à Isabelle Cassiers l’étiquette d’économiste engagée. Elle ne peut que l’être, inévitablement. Elle se situe dans la foulée de Jackson qui définit l’économie comme « l'histoire de gens ordinaires qui dépensent l'argent qu'ils n'ont pas, pour des choses dont ils n’ont pas besoin, afin d'avoir un impact qui ne durera pas sur des gens dont ils se fichent. » On ne peut plus, pense-t-elle, consommer des biens et des services dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui, cela n’est pas écologiquement soutenable. Le système qui pousse à la consommation est absurde et il faut en sortir.

« Soyez austères. Des politiques qui ne font que creuser l'écart entre les nantis et les plus pauvres. »

Les politiques d’austérité n’ont fait que creuser l’écart entre les nantis et les plus pauvres. Les critères qui ont permis de définir le Produit Intérieur Brut, dans les années 50, ne sont plus pertinents aujourd’hui. On pouvait comprendre qu’au sortir de la guerre, l’aspiration au bien-être matériel justifiait l’idée qu’avoir plus de marchandises ne pouvait que nous rendre plus heureux. Mais aujourd’hui, il faut tenir compte de l’épuisement des ressources naturelles. Par ailleurs, nos comportements consuméristes privent une partie de l’humanité de l’accès aux sources dont elle a besoin.

 

La croissance ne fait pas le bonheur

La croissance n’est pas la solution, elle serait aujourd’hui plutôt le problème. Il faut se libérer de cet objectif-là qui ne mène à aucun progrès social. Si le besoin fondamental de l’homme est d’être inséré socialement et d’avoir de quoi vivre, il faut inventer de nouvelles solutions pour gérer l’emploi, le temps de travail, d’autres façons de solliciter le budget public. Il faut faire confiance à l’inventivité des jeunes qui construisent de nouvelles façons de vivre avec moins d’argent et de besoins, dans une joyeuse frugalité.

 

« Ce système dont on ne pourra sortir que par un saut civilisationnel. »

Le système capitaliste est problématique et certains économistes osent maintenant le dire. Nos modes de consommation nous rendent complices de ce système dont on ne pourra sortir que par un saut civilisationnel. Il faut commencer par changer les mentalités. Des initiatives se mettent en place un peu partout au niveau local : les quartiers en transition, les potagers urbains, le partage des voitures, les circuits courts, les monnaies locales, les banques de temps, etc. Les chercheurs doivent aussi soutenir ces valeurs de partage et de coopération, les encourager et quand l’opinion publique sera prête, les modes de gouvernance pourront changer. Dans l’histoire, les changements les plus considérables sont partis de petites semences. Souvenons-nous du slogan : « Ils ont voulu nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines. » C’est en observant qu’une partie de la population vit autrement que les hommes politiques auront envie de relayer leurs mouvements. Il faut que ça circule beaucoup à la base pour que les hommes politiques prennent le relai.

 

La simplicité volontaire

« Ils ont voulu nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines. Hommage aux 32 victimes des attentats du 22 mars 2016. »

Les gens qui vivent dans la simplicité volontaire sont très joyeux, ils témoignent qu’une prospérité frugale est possible et épanouissante. Au Bhoutan, où l’on a intégré la notion de Bonheur National Brut, on lutte contre la tentation consumériste, on vit dans la joie avec des moyens rudimentaires. Il nous faut redécouvrir cette gaieté de la frugalité. Nous devons changer le système pour éviter que les gens ne soient pris dans un système qui les pousse à s’endetter et qui les éloigne de la joie simple. Il faut limiter les comportements écocides ou qui provoquent des génocides silencieux. Si nous ne nous plions pas à des rationnements volontaires, nous courons droit à la catastrophe écologique et ces rationnements nous seront imposés dans de grandes souffrances.

Ceux qui prétendent que l’enrichissement du nord finira par ruisseler sur les plus pauvres du sud se trompent. La misère du sud est liée au développement du capitalisme occidental. Isabelle Cassiers est heureuse et surprise de trouver dans ses combats un allié de poids, le pape François avec son encyclique Laudato si.

 

Pour une prospérité commune

Isabelle Cassiers dégage de ses lectures et méditations spirituelles cinq valeurs communes à toutes les spiritualités. Ces valeurs pourraient asseoir les fondements d’une nouvelle prospérité.

  1. Éveiller notre conscience. Être conscient tout d’abord des conséquences de notre consommation sur l’écologie ou l’exploitation humaine. Mais c’est aussi éveiller notre regard intérieur, voyager dans le mystère innommable de ce qui nous dépasse.
  2. Expérimenter l’unité de l’Être. Par essence, nous ne sommes pas séparés les uns des autres. Nous sommes un, comme la vague fait partie de l’océan. Les conceptions individualistes créent de la souffrance, tandis que la coopération et la solidarité créent du bien-être.
  3. Pratiquer la bonté. L’homme n’est pas qu’un loup pour l’homme. Il faut dompter les élans égoïstes et compétitifs qui sont en chacun de nous pour développer la part de bonté. Les mouvements alternatifs développent ces valeurs-là.
  4. Vivre avec frugalité. Il est sain de sortir de table en ayant encore un peu faim. Le pape lui aussi souligne l’importance de la croissance par la sobriété, la capacité de jouir avec peu.

Vivre dans la joie. Les mouvements de simplicité volontaire ne sont pas ascétiques, il ne s’agit pas d’abandonner la joie ni la jouissance. « Le monde est un mystère joyeux » dit le pape François. Il s’agit de nettoyer les sources de ces obstacles qui empêchent la joie d’abonder.

Jean BAUWIN
(18/03/2017)

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

Photos : Chantal Vervloedt-Borlée

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