Samedi du Prieuré : Dominique Bigneron (04/02/17)

ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Dominique Bigneron : « Ne décidons pas à leur place ! »

 

Dominique Bigneron est le directeur du Domaine des Rièzes et sarts, « une maison de vies solidaire pour adultes âgés », située près de Couvin. Il résiste depuis toujours à toutes les formes de maltraitance, parfois insidieuses et inconscientes, que l’on peut rencontrer en maisons de repos. Il a fait de l’autonomie et de la liberté des habitants du domaine, une priorité absolue.

Dominique Bigneron a été abandonné par ses parents à ses grands-parents. Il a renoncé aujourd’hui à vouloir comprendre pourquoi, mais il en a gardé une difficulté à vivre l’abandon. Heureusement, son grand-père, ouvrier, laïque et militant d’extrême gauche, le sensibilise très tôt à la détresse du monde et à la différence. Chez ses grands-parents, on était toujours une quinzaine à table, ils accueillaient sans jugement les migrants de l’époque. Cette force de résistance qui l’habite aujourd’hui contre tout ce qui peut opprimer l’homme est le fruit de cette enfance.

« C'est au moment où la nuit est la plus noire
que l'aube est la plus proche. »

Il se définit comme un humaniste laïque. Pour lui, l’homme n’a pas besoin de trouver d’autres ressources qu’en lui-même. « C’est ici et maintenant que je dois vivre les choses, être généreux, et vivre un amour inconditionnel. Ma religion est que chacun puisse vivre sa religion. » Il croit aussi au progrès de l’humanité et si notre société traverse une crise, il sait aussi que c’est au moment où la nuit est la plus noire que l’aube est la plus proche.

Il fait des études kiné et travaille pendant 28 ans dans de nombreuses maisons de repos. Là, il est témoin de toutes les formes de maltraitance, de la plus évidente à la plus subtile. Beaucoup de soignants n’ont pas toujours conscience qu’entrer dans une chambre sans frapper, que laisser une personne nue sur son lit un certain temps en attendant de faire sa toilette, c’est aussi de la maltraitance. Mais plutôt que de se résigner, il entreprend des études de gestion à 42 ans et ouvre une maison de repos où les valeurs telles que le respect de l’autonomie et des libertés sont inscrites dans une charte remise à tout nouvel arrivant.

(Charte consultable en cliquant sur le lien suivant :
http://www.inforhomesasbl.be/images/Inforhomes/PDF/Presentatie%20Dominique%20Bigneron.pdf )

 

Les soignants ne portent pas de tablier blanc...
Les habitants ne demandent pas à être soignés mais accompagnés.


Un lieu de vie

Au domaine des Rièzes et sarts, les soignants ne portent pas de tablier blanc. Les interactions entre le personnel et les habitants se vivent sur un rapport d’égalité. Le tablier n’est pas utile et n’a pas de sens. Il réduit le soignant à sa fonction et la plupart des habitants ne sont pas malades, ils sont juste très âgés. Ils ne demandent pas à être soignés, mais accompagnés.

Dominique Bigneron a conscience de l’importance des mots. On ne parle donc pas de prise en charge, car l’expression désigne la personne comme une charge. On parle d’habitant parce que c’est ce qu’ils sont littéralement. On parle d’adultes âgés, parce qu’ils restent des adultes, des sujets qui décident de ce qui est bon pour eux, et non pas des objets, ni même des objets de soins.

Il n’y a pas non plus de ségrégation entre personnes plus ou moins valides, ou plus ou moins orientées. Tout le monde est mélangé et vit ensemble, comme dans la vraie vie.

 

Pour permettre à chacun de vivre comme il l’entend, chacun décide de ce qu’il va vivre, de ce qu’il va manger, et quand il va manger, de ce qu’il va faire ou ne pas faire. Deux éducatrices ont pour mission d’être là au milieu des habitants, plutôt que de faire de l’occupationnel. Chacun peut aussi fermer sa porte à clé et préserver ainsi sa vie intime et amoureuse.

Les animaux de compagnie sont acceptés. Cela ne va pas sans difficulté parfois, mais cela permet aux habitants de garder le lien avec leur animal, et on sait combien ce lien peut être fort.

La mort n’est pas cachée. Quand quelqu’un décède, on l’annonce haut et fort, ainsi que les heures de visite pour permettre à ceux qui le veulent de rendre un dernier hommage. Il s’agit de vivre dans le Domaine le plus normalement possible, même si cela reste une vie communautaire à laquelle peu de gens se préparent, et malgré les problèmes dus au grand âge.

 

  

Cette organisation qui donne l’impression parfois d’un chaos organisé ne coûte pas plus cher qu’ailleurs. Le domaine ne reçoit pas davantage de moyens que les autres maisons de repos. Mais avec les mêmes budgets, on peut vivre des choses différentes. Trouver les bons gestes et les bons mots ne s’apprend pas en formation, cela vient des tripes le plus souvent. Au domaine, on est en réunion informelle toute la journée. C’est dans les couloirs que s’échangent aussi des informations importantes sur les habitants. Tout est une question de regard et d’intention. Regarder l’habitant comme un adulte et dire les choses dans le respect de chacun, cela ne coûte rien.

 

 

 

Il arrive, dans les cantous, que des personnes tambourinent
toute la journée à une porte qui ne s'ouvrira jamais.
C'est aussi une façon de mourir.

Jusqu’où accompagner la liberté ?

La liberté est inscrite dans la charte du Domaine, mais elle ne va pas sans poser des problèmes. Si la personne ne veut pas s’habiller, elle peut rester en pyjama toute la journée. Si la personne veut marcher, au risque de tomber, on la laisse faire. Si une personne refuse de prendre ses médicaments, on ne va pas non plus la forcer. La liberté de choisir l’euthanasie, si la démarche s’inscrit dans la cadre de la loi, est aussi respectée. Toutes ces questions sont difficiles et restent ouvertes.

Mais si l’on considère que la liberté de mouvement est une liberté fondamentale, il est important de ne pas en priver les habitants. Ils ont donc le droit de circuler partout, comme ils le veulent. Les portes ne sont pas fermées et s’il le faut, le personnel va rechercher quinze fois ceux qui s’éloigneraient trop de la maison. Les habitants désorientés ne sont jamais enfermés et encore moins attachés. Il arrive, dans des cantous, que des personnes tambourinent toute la journée à une porte qui ne s’ouvrira jamais. C’est aussi une façon de mourir. Au domaine, la prise de risques est assumée parce que le pire risque serait de ne pas en prendre. La vie est un risque permanent et la maison de repos est un lieu de vie.

Dominique Bigneron s’étonne parfois que l’on s’étonne de ce qui se vit au domaine. « C’est juste normal », dit-il, même s’il est bien conscient que l’on ne vit pas comme cela partout. D’autres lieux sont à inventer pour permettre d’accompagner au mieux les personnes très âgées ou désorientées et il ne manque pas d’idées. Il a encore quelques projets dans ses cartons. Et pour reprendre les mots de Christian Bobin, son projet pour les adultes âgés peut se résumer en ces termes : « La vie à sa plus grande intensité ».

Jean BAUWIN
(04/02/2017)

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/

Photos : Chantal Vervloedt-Borlée