Skip to main content

Samedi du Prieuré : Véronique Biefnot et Francis Dannemark (28/05/16)

SAMEDI DU PRIEURÉ : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Véronique Biefnot et Francis Dannemark : La brûlure des préjugés

 

Ce samedi 28 mai 2016, le Prieuré recevait trois écrivains pour le prix de deux. En effet, à côté de leurs parcours respectifs, Véronique Biefnot et Francis Dannemark ont décidé de tisser ensemble le fil de leur écriture. Le premier roman, né de ce métissage, La route des Coquelicots tente de dénoncer d’encombrants préjugés. 

 

 

 

 

 

 

Véronique Biefnot et Francis Dannemark se sont rencontrés à l’occasion de la sortie d’un de leurs romans respectifs. Chacun aimait déjà le travail de l’autre, ils ont aimé encore plus travailler ensemble. Cela commence par un projet d’adaptation, pour le cinéma, d’un roman inadaptable de Francis Dannemark. Le projet n’aboutira pas, mais le plaisir qu’ils prennent à travailler ensemble les pousse à poursuivre. Ils écrivent des nouvelles, des chansons, des articles et La route des Coquelicots est leur premier roman. Il paraît en 2015.

 

 

Il n’y a pas de règle ni de recette pour écrire à deux. C’est une alchimie qui garde sa part de mystère. C’est souvent Véronique qui propose le synopsis de base. Ils discutent ensuite d’une structure. Elle doit être très détaillée, parce qu’elle ne cessera d’être réinterrogée, remise en question et retravaillée. Ensuite ils se partagent le travail ou écrivent directement à deux. Quelle que soit la méthode, tout est réécrit à deux, au point que l’écriture de l’un se mêle à celle de l’autre pour créer une nouvelle écriture originale, dans laquelle les deux autres ne sont plus reconnaissables. C’est un travail organique, vivant, ça bouge tout le temps. Leur secret : parler, discuter, dialoguer. Quand on accueille les propositions de l’autre avec une écoute bienveillante, cela évite les conflits. Et puis, l’objectif est commun : raconter une histoire pour quelqu’un et non pas pour soi. C’est pourquoi ils sont tous les deux sensibles à l’oralité et à la mise en voix de leurs textes, pour aller à la rencontre de l’autre.

Dans La route des coquelicots, les trois octogénaires sont inspirées des grands-mères de Véronique Biefnot. Mais pour Francis Dannemark qui ne les a pas connues, ce sont des personnages de pure fiction. Il risque donc moins de se laisser piéger par le réel.

Écrire à deux, cela oblige à sortir du cadre habituel dans lequel chacun a l’habitude d’évoluer. Ils sortent de leur zone de confort et osent prendre des risques, se lâcher, parce qu’ils savent que l’autre servira de garde-fou. Il y a donc une part de libération et de jubilation inédite dans l’écriture à deux.

Avec Kyrielle Blues qui vient de sortir, ils racontent à nouveau une histoire qui montre qu’à chaque moment, une nouvelle vie peut commencer, un nouveau chapitre peut s’ouvrir sur l’inattendu. Rien n’est jamais figé et il faut rester attentif aux portes qui s’ouvrent.


La musique des mots

Francis Dannemark est né dans un milieu paysan. À la maison, les langues se mélangeaient. Son père qui venait des cantons rédimés parlait parfaitement le français, même si sa langue maternelle était l’allemand. Sa mère parlait le wallon et un français souvent approximatif. Cela l’a rendu très tôt attentif au langage, aux mots, à leur musique. Durant deux ans, il suit les cours d’un instituteur exceptionnel : il ne donnait pas cours, il racontait des histoires. C’est ainsi qu’à l’âge de 12 ans, Francis tente d’écrire un premier roman, mais il se rend compte de l’ampleur de la tâche et abandonne son projet. Il se tourne alors vers la poésie, mais pas question pour lui d’écrire une poésie casse-pieds qui ne parle qu’à son auteur. Il secoue les cercles poétiques avec une écriture plus narrative et humoristique. C’est donc par la poésie qu’il revient au roman. Comme Marie Desplechin, il est tellement fasciné par les livres, qui lui ont d’ailleurs sauvé la vie, qu’il veut rajouter quelques livres à la grande bibliothèque, en guise de merci.

Véronique Biefnot a commencé à lire très tôt. À la maison, c’est elle qui lisait et qui racontait à sa mère ce qu’elle avait lu. Et quand elle avait fini un livre, il lui arrivait d’en inventer d’autres. Elle entre à l’université à 16 ans. À vingt ans la voilà déjà licenciée agrégée en philologie romane. Mais l’enseignement ne la tente guère. Elle mène alors de front des études au Conservatoire en art dramatique et des études de peinture aux Beaux-Arts. Elle réussit les deux et mène pendant 30 ans une brillante carrière de comédienne. Après avoir étudié de grands auteurs, interprété leurs textes sur scène et adapté des romans pour le théâtre, elle se lance dans ses propres projets d’écriture et le succès est au rendez-vous. Avec Kyrielle Blues, elle peut compléter le texte par ses aquarelles, publiées en couleurs, un luxe rare et précieux que lui a offert son éditeur.


Juger sans préjugés

« Offrez-vous du temps, offrez-vous un livre », lance Francis Dannemark, comme un slogan publicitaire. Un livre, c’est du temps retrouvé, c’est du temps donné. Le livre se déploie au rythme du lecteur. L’œuvre se construit donc avec lui. Le rôle de l’écrivain, c’est aussi de garder les mots vivants, comme des outils précieux dont on a besoin pour vivre ensemble.

Au cœur de leur œuvre commune, il y a le désir de démonter les préjugés les plus profonds, ceux que l’on véhicule sans s’en rendre compte, qui prennent racine dans l’inconscient. Et ce ne sont pas toujours des préjugés sur les gens qui sont lointains ou étrangers. La route des coquelicots déconstruit les stéréotypes que l’on véhicule à propos des personnes âgées, des personnes de classes sociales différentes, ou des réfugiés sans papier.

Mais dénoncer les préjugés, ce n’est pas tomber dans l’angélisme d’un refus de jugement. Il y a dans notre société des individus horribles, dangereux, mais on ne peut pas les reconnaître à leur tête, à leur style, à leur image. Juger oui, mais pas préjuger.

Les stéréotypes sont sans doute nécessaires pour s’y retrouver dans la complexité du monde. Mais ce sont des hypothèses de travail, des façons de classer le monde, que l’on peut mettre à distance, sur lesquels on peut s’interroger. Le préjugé, lui, est inconscient.

L’essentiel est de se rendre compte qu’on peut changer, passer d’un stéréotype à l’autre parce que rien n’est figé. Et c’est le rôle de l’art, et singulièrement du roman, de rappeler cela. « Un être humain tout seul n’est pas plus intéressant qu’un arbre ou un caillou », dit Francis Dannemark, mais quand deux êtres humains se rencontrent, tout devient possible. » Les humains se transforment sans cesse les uns les autres. C’est la qualité de leur relation, de leur amour qui peut changer la vision que l’on a du monde.

 Jean BAUWIN
(28/05/2016)

Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/ 

 

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer