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Samedi Saint 2015 : Jean-Pierre Améris - Rencontre

SAMEDI SAINT 2015 : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Jean-Pierre Améris : La grande bonté

Jean-Pierre Améris est un grand timide, un émotif qui a du mal à s’exprimer. Et pourtant, à l’écouter parler de son cinéma, avec passion et volubilité, on a peine à le croire. Il parle sans s’arrêter, comme pour se rassurer, pour ne pas laisser s’installer le silence et la gêne. Dans la petite église du Prieuré, en cette veillée pascale, nous avons découvert un homme qui ressemble à ses films : humble et généreux.

Jean-Pierre Améris grandit dans une famille où l’on ne parle pas et où l’on ne se touche jamais. Le pire y était toujours envisagé : « Pourvu qu’il ne nous arrive rien ! » répétait son père en toute occasion. Dans ce contexte, on comprend que l’enfant a du mal à s’exprimer et à gérer ses angoisses. À ses complexes personnels – il mesure près de deux mètres – viennent s’ajouter des complexes sociaux. C’est donc sa propre histoire qu’il raconte dans Les Émotifs Anonymes. Son but est d’arriver à rire de ce qui le bloque, pour pouvoir s’en sortir. Il ajoute : « Si je m’écoutais, je resterais cloîtré chez moi, je déteste les mondanités. Je suis allé deux ans aux Émotifs Anonymes. J’ai beaucoup travaillé sur moi et si j’ai toujours le trac, j’ai l’énergie pour le surmonter. Aujourd’hui, j’ai besoin du lien, de me lier aux autres. »

À l’adolescence, il aime trouver refuge dans les cinémas, ces lieux sombres et clos, à l’abri du regard des autres, comme dans un cocon fœtal. Il peut y vivre de grandes histoires avec de grandes actrices. C’est là qu’il découvre sa passion : il a tout ensuite envie de filmer. C’est une façon, pour lui, de trouver sa place dans le monde, de garder vivant ce qui va disparaître.
Faire du cinéma, ce n’était pas possible dans l’esprit de son père, mais heureusement, le jeune homme n’écoute pas ceux qui disent que ce n’est pas possible et il essaie.
Le retour de Pierre est son premier court-métrage, un film autobiographique sur l’incommunicabilité dans la famille, le poids du silence et des non-dits. C’est, de son propre aveu, son film le plus ridicule, mais le plus sincère. « Ce qui est beau est toujours au bord du ridicule », confie-t-il.
Il fait ensuite l’école de cinéma où il s’essaie à tous les postes, mais c’est le métier de réalisateur qui lui convient. « Le réalisateur, c’est celui qui a vu le film avant de le tourner, explique-t-il. Je ne suis bien que quand je tourne, parce que je suis dans un cadre, une structure et j’ai un rôle bien précis. »
C’est aussi le cinéma qui lui permet de créer du lien. « Je n’arrive à rencontrer l’autre que par le projet du cinéma. Sans ce projet, je ne peux aller nulle part. » Ce sont donc ses films qui lui permettent d’entrer en prison, de découvrir le monde des soins palliatifs, ceux des migrants clandestins ou des enfants sourds muets et aveugles.
Ce qui lui plaît dans le métier de réalisateur, c’est la direction d’acteurs, qu’ils soient professionnels ou non, il va tirer chez eux cette part intime et fragile si visible à l’écran.


Réapprendre à vivre

S’il filme les situations de grande souffrance, c’est pour faire du bien aux gens, à ceux qui vont aussi mal que lui, lorsqu’il était jeune. Le cinéma l’a souvent ragaillardi et il espère produire le même effet chez d’autres.
En 1984, il lit dans la presse l’histoire d’un homme désœuvré qui s’est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Sa mère vient lui rendre visite en prison et lui dit, pour la première fois, qu’elle l’aime et qu’il est toujours son fils, malgré ce dont il s’accuse. À partir de là, il veut s’en sortir. Jean-Pierre Améris reconnaît en cet homme comme un petit frère. Lui aussi a eu du mal à trouver sa place dans le monde et dix ans plus tard, il racontera cette histoire dans Les aveux de l’innocent.
Jusqu’en 2000, il n’a jamais vu personne mourir. Pour préparer son film C’est la vie, il rencontre Marie de Hennezel et passe beaucoup de temps dans une maison de soins palliatifs. Il n’arrive pas à faire de documentaires, mais il nourrit sa fiction de la réalité. Pour ce film, il fera jouer leur propre rôle à des malades en fin de vie et il fallait voir l’étincelle s’allumer dans leurs yeux quand il les filmait. Jouer les ramenait dans l’enfance. « J’ai fait ce film pour me préparer à ce qui va arriver. Là où ça fait peur, comme en soins palliatifs, on a tout à gagner à surmonter ces peurs. Je filme aussi ce que je n’arrive pas à faire, c’est pourquoi je fais des films où l’on se touche beaucoup. » Ses images, ses actrices, on les caresse en effet des yeux. Il a ce don de faire passer par l’image le génie du toucher. « Cinq ans après ce film, alors que mon père était mourant, j’ai pu lui prendre la main, quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant et que j’ai découvert en faisant le film. »
Jean-Pierre Améris ne craint pas les paradoxes, car c’est dans les lieux de souffrance qu’on trouve la joie, le réapprentissage de la vie. « Mes films sont toujours des histoires de relèvement, de sortie du tombeau. Je ne peux pas raconter autre chose que cela. »


Dieu vibre au bout de la main

Pour la première fois, avec Marie Heurtin, il peut parler de sa foi. Il aime la foi en action, comme celle de sœur Marguerite, la foi qui fait travailler, s’engager. Quand Jésus envoie ses disciples en mission, il prend le risque du ridicule, il choisit l’inconfort, comme cette mère supérieure qui accepte d’accueillir Marie Heurtin dans son institution. Croire, c’est faire entrer le désordre, c’est aller là où ce n’est pas confortable.
« Ce qui compte pour moi, c’est le dépouillement, le chemin d’humilité, le don. J’aimerais avoir ce même détachement que sœur Marguerite qui a refusé la Légion d’honneur. Elle ne voulait pas être décorée, elle prétendait avoir fait ce qu’elle avait à faire. Moi, j’ai été déçu de ne pas être nommé aux Césars. J’en suis donc encore bien loin. »
Le réalisateur croit au bénévolat et au réseau associatif qui crée du lien, il croit en ces religieuses, en ces éducateurs, ces enseignants qui disent aux enfants : « Je crois en toi, tu vaux plus que tu ne crois. »
Avec les sourds muets et aveugles, il retrouve la beauté du monde. Ces jeunes font un pied de nez à nos sociétés où tout est virtuel. Ils prennent le temps de caresser les arbres, les animaux, ils enlacent le monde, le reniflent. « Ces enfants sont plus au monde que moi, parce qu’ils l’embrassent. » Et pour sœur Marguerite, Dieu est partout dans ce qui vibre, dans ce qui palpite. Il est dans le vivant. Dieu est au bout de la main.

Jean BAUWIN
(Samedi Saint 2015)

 

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