Jeudi Saint 2017 : Marion Muller-Colard - Rencontre

JEUDI SAINT 2015 : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Marion Muller-Colard : La grande dépense


Marion Muller-Colard
, théologienne et écrivaine protestante, a vu son fils aux portes de la mort, avant de sombrer elle-même dans le chaos intérieur. Comme Job, à qui l’on avait tout donné avant de tout lui reprendre, elle crie sa plainte et découvre un Dieu qui n’entre pas dans le jeu de la rétribution, mais bien plutôt un Dieu qui se dépense sans compter aux côtés de l’homme pour porter sa plainte.

Marion Muller-Colard est née à Marseille dans une famille où la religion ne fait pas l’unanimité. Son grand-père était un pasteur protestant austère, et sa maman était farouchement athée. Ses parents se sont rencontrés sur les barricades de mai 68 et on devine qu’elle ne fut pas biberonnée à l’Évangile.
Pourtant, elle se découvre très jeune encerclée par cet Évangile. Ses copines, ses voisines, l’emmènent au catéchisme avec elles chez le pasteur, dans des camps de jeunes, et elle fait la rencontre de belles personnes qui lui parlent de l’Évangile autrement et lui en donnent la soif.
C’est donc presque naturellement que Marion, l’insubordonnée, adhère au protestantisme. Elle aime cette façon que les protestants ont d’être proches de l’Évangile, sans intermédiaire. Elle entreprend des études de théologie à Strasbourg tout d’abord, ensuite à Jérusalem. Elle découvre que l’hébreu est la langue de la liberté et du jeu, que la tradition interprétative du judaïsme promeut quatre ou cinq niveaux de lecture, qui sont multipliés par autant de Juifs qui lisent la Bible. « Le judaïsme ne peut donc pas être fondamentaliste, dit-elle, et c’est une raison de se réjouir. »

Le Dieu de la grâce

Quand son second fils, Félix, vient à naître, elle vit deux mois merveilleux. Aucun indice ne laissait présager un problème de santé chez lui, si ce n’est qu’il fronçait souvent les sourcils. « Tu as l’air étonné, lui souffle-t-elle, et je ne vais pas te contredire, la vie est étonnante. » Mais soudain, on découvre un virus respiratoire qui obstrue ses poumons et l’asphyxie. Le bébé est réanimé en urgence, et commencent alors de longs jours et de longues nuits d’incertitude quant à sa survie. Elle aura le courage de dire à son fils qu’il pouvait vivre ou mourir, que tout était déjà accompli. « Ce qui était sublime, c’est qu’il fût né », dit-elle.
Félix s’en est sorti, il a retrouvé la santé, mais pas sa maman. Marion sombre dans une profonde dépression. Le sens se dérobe, elle se voit tomber, ce qui faisait son identité ne tient plus. Elle vivait sur une évidence mais une épreuve, ici la maladie, vient tout bousculer. Marion Muller-Colard se souvient alors de Job à qui elle avait consacré une thèse. Comme lui, elle ira jusqu’au bout de sa plainte pour découvrir un Dieu qui n’est pas garant de notre sécurité, mais qui va se faire l’avocat de notre plainte.
La dépression naît de la tentative de donner du sens à ce qui n’en n’a pas. Accepter l’absence de sens à ce qui nous arrive est un acte plein de sens. Il faut pouvoir intégrer l’absurde dans nos vies, alors que la religion l’exclut à tout prix. Pour construire du sens, la religion a construit autour de Dieu un système rétributif, mais Job refuse de jouer ce jeu et il le dit. Il enterre ce Dieu qui garantit le sens, et il croit en un Dieu qui se fait le porte-parole de sa plainte. « Ici-bas, avec la culture historique que j’ai et mes yeux qui me permettent de voir tout ce qui se passe autour de moi, je ne peux pas croire en Dieu qui garantirait ma sécurité. Et je me fais amie de Job pour essayer d’envisager un autre Dieu qui serait celui qui promeut notre courage d’être, en dépit de la menace. »
Et c’est ce Dieu-là que Jésus lui fait découvrir également. Dans l’épisode de l’aveugle-né, les disciples, héritiers de ce système rétributif, demandent à Jésus qui a péché pour qu’il soit né aveugle. Jésus déplace complètement le problème, il ne se pose pas la question du pourquoi il est comme cela, mais pour quoi faire ? « Je n’ai pas de réponse quant à la cause de ce qui m’arrive, mais ce qui m’arrive me donne du ressort. Et maintenant que vais-je faire avec ça ? Une amie, malade du cancer avait une très belle image : quand on se trompe de chemin, on ne devrait pas être là où l’on se trouve, mais maintenant qu’on y est, regardons le paysage. » C’est le Dieu de la grâce, du bonheur d’être là.


Le ministère de l’écriture

Pour sortir de sa dépression, Marion Muller-Colard s’est adressée à un psychiatre, il lui a fallu se ré-arrimer au réel. Ce fut un énorme combat et un travail spirituel. Il lui a fallu accepter la menace, de vivre en dépit de la menace.
Après avoir découvert la mission d’aumônier d’hôpital à l’âge de 22 ans, à l’occasion d’un remplacement, elle exercera ce ministère durant quelques années. Elle y fait l’expérience du désarmement, elle se retrouve au cœur de la vulnérabilité, là où il n’est pas possible de se déguiser, de tricher. On se trouve à côté de quelqu’un sans aucune solution, on est là dans le dénuement et l’impuissance. Et c’est quand on a fait cet aveu d’impuissance qu’une relation peut démarrer en vérité, parce que l’autre sait qu’on ne peut rien pour lui. Ces moments d’authenticité sont des moments de pure humanité.
Elle s’intéresse aussi beaucoup à Freud. Jésus était peut-être le premier psychanalyste, explique-t-elle. Quand il rencontre un malade, il lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » La guérison s’accompagne d’une convocation de la parole de l’autre.
Et l’autre ministère qu’elle exerce est l’écriture : « C’est le fil rouge de ma vie, mon troisième poumon, c’est ma façon de prier. C’est une façon de redonner ce que j’ai absorbé comme une éponge. L’histoire de mon fils, que je raconte dans L’autre Dieu, c’est une parabole, je parle de moi pour parler de chacun. »

Jean BAUWIN
(Jeudi Saint 2015)

 

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer