Rencontre avec les moines-poètes (15/03/2014)

ÉCHOS DE LA RENCONTRE AVEC LES MOINES-POÈTES

Dieu dans les interstices

Les mots des moines-poètes ont enchanté la petite église de Malèves-Sainte-Marie, le 15 mars dernier. Mis en voix par Sylvie Rigot et en musique par les Muses, les poèmes de Jean-Yves Quellec, Gilles Baudry et François Casingena-Trévedy (excusé pour des raisons de santé) ont permis d’entrevoir un Dieu discret, pudique, qui se cache dans les interstices des mots.

 

 

Interrogé par Gabriel Ringlet, Gilles Baudry dit tout d’abord son attachement pour la nature, dont il a fait le sujet de nombreux de ses poèmes. Le moine de Lendévennec qui vit entre rivière et mer, aime chanter son environnement. Il n’oublie pas que les premières paroles de Dieu furent pour la création. Il explique qu’il écrit à vue, sans rien préméditer, il prend les mots comme ils viennent. En contemplatif qu’il est, il accueille ce qui advient. Ensuite vient seulement le travail du poète, un travail de ciseleur, un travail sur les mots, sur le rythme et la musicalité. « Nous sommes des ajusteurs de sens et de sons. » La musique est en effet indissociable de sa poésie. « Écrire, c’est être en état d’annonciation, c’est recevoir des mots qui ne m’appartiennent pas, dit le poète breton. Et quand je ne reçois rien, je dis : qu’il en soit fait selon ton silence. »

 

Le chant de l’être

S’il y a une radicalité dans la vie monastique, elle n’est pas une amputation de l’être. La poésie est au contraire un chant de l’être, ce n’est pas un divertissement. Pour Gilles Baudry, elle est le médium privilégié par lequel il s’exprime. « Quand j’écris, je suis moi », affirme-t-il.
Nos pauvres mots ne sont pas grand-chose par rapport à la parole de Dieu, mais il ne faut pas oublier que le Christ a utilisé nos mots. Jamais homme n’a parlé comme cet homme, il a déplié et déployé sa parole en paraboles, et il l’a payé de sa vie.
Le poète est également un homme de paraboles, il est dans l’écho de la parole de Dieu avec ses propres mots.
« J’aurais aimé écrire sur la pudeur de Dieu », confie-t-il, car Dieu se cache, et quand il apparaît à ses disciples, ils ne le reconnaissent pas. « Nous vivons dans l’absence-présence de Dieu. Nous ne sommes pas dans le face-à-face, ni dans la claire-vision, nous sommes dans l’entrevision. » C’est pourquoi les pèlerins d’Emmaüs traversent toute son œuvre. Jésus chemine avec eux alors qu’ils sont découragés et tristes, parce qu’ils pensent que Jésus est un homme fini. Au moment de la fraction du pain, en une fraction de seconde, il disparaît. Il n’a plus besoin d’être avec eux, puisqu’il est en eux. Dieu est cette absence habitée, cette présence en creux.
Si sa poésie cherche à célébrer la beauté du monde, c’est parce qu’il s’est toujours méfié de la fascination pour le mal. Il n’a pas envie d’en rajouter. S’il porte la souffrance des gens qu’il rencontre dans son cœur, il n’a pas envie d’en faire étalage dans sa poésie. Il aime plutôt traquer les harmoniques de la grâce.
« Devant tout ce qui est grand, on marche pieds nus, que ce soit dans la poésie comme dans la prière. En tant que poète, je suis dans la mendicité et dans la gratitude vis-à-vis de Dieu. » Et pour devenir poète, il ne faut pas de talent particulier : « Les sources sont en toi. Sois le sourcier de tes propres sources et tu pourras irriguer le monde autour de toi », conseille-t-il.

 

Le Dieu des surprises

Jean-Yves Quellec est aussi un contemplatif de la vie, de sa splendeur et de ses mystères dont il ne cesse de s’étonner. « Je suis un poète par effraction, à l’insu de mon plein gré », plaisante-t-il. S’il n’écrit que très peu de poèmes dans une forme attendue, sa prose est cependant poétique, tout comme sa manière d’approcher la réalité et la souffrance.
Devant la souffrance, il y a d’abord le silence, l’écoute, le balbutiement et puis, de temps en temps, une parole inattendue. S’il l’on est suffisamment présent à la présence, on se retrouve traversé par une parole prophétique, inattendue, et l’on ose des gestes qui ne sont pas prémédités.
La poésie ne peut pas traiter la réalité de n’importe quelle façon pour l’embellir ou la tronquer. Il ne faut pas qu’elle fasse injure à la souffrance humaine. Le ton doit donc être celui de la tendresse heureuse. Dans la poésie comme dans la liturgie, les joyeux ne doivent pas se sentir rabattus, ni les affligés se sentir écrasés. Il faut trouver le ton juste. « J’aimerais être un passant joyeux, on n’est pas là pour encombrer le monde, mais pour l’alléger », dit le prieur de Clerlande qui se définit comme un moine moinant.
Les vœux monastiques sont poétiques à certains égards.
Le premier est la stabilité, l’enracinement. Dans une communauté, on crée des liens fidèles pour toute la vie. « Si nous ne sommes plus capables de nous enraciner, nous allons nous désagréger », dit-il.
L’obéissance, tout comme la poésie, met à nu, décape l’acte d’exister. Elle rogne le moi anarchique, ébouriffé, mal ajusté, parfois écrasant ou trop timide. Si l’obéissance a pour fonction de faire vivre ensemble les êtres selon leur cœur, alors on retrouve la poésie de l’existence en obéissant.
Le troisième vœu demande une conversion des mœurs. « Il faut toute une vie pour arriver à ne pas devenir moine », dit-il en souriant. Mais ce n’est pas désespérant. L’essentiel est de devenir ce que l’on est, et tous ceux qui cherchent à devenir eux-mêmes sont logés à la même enseigne, moines ou non. « Nous ne sommes pas pleinement adaptés à notre environnement, au contraire des animaux, il nous faut faire beaucoup de chemin pour arriver à nous-mêmes. Jésus est venu pour nous rendre libres, nous permettre de respirer largement. »
Jean-Yves Quellec aime à se retirer de temps en temps au désert d’une île. C’est là qu’il se sent relié au monde. Tous les visages rencontrés viennent à lui dans la solitude. « La solitude nous relie, littéralement et dans tous les sens », dit-il en paraphrasant Rimbaud. Dans cette solitude bénie qu’il a choisie et qui n’a rien à voir avec l’isolement dont souffrent tant de nos contemporains, il est présent à la présence.
S’il aime à dire qu’il écrit contre le mur, c’est parce qu’il a besoin de distance. Quand il est assailli par la beauté du monde, il ne peut pas écrire. La poésie demande un recul, un écart, un travail sur le langage, contre un mur, sans rien voir.
« J’interroge souvent les silences de l’Évangile, ce qu’il y a entre les mots, continue-t-il. Je crois que l’Esprit saint est l’exégète du silence, et comme il nous habite, nous pouvons nous risquer à lire entre les mots, non pas pour détourner le texte, mais pour mieux le comprendre. »
La parole est un chef-d’œuvre en péril. Il faut veiller à la qualité de la parole, sinon la parole de Dieu risque de devenir inaudible dans notre monde. « Jésus nous engage à recevoir sa parole pour nous-mêmes et à rendre sa parole crédible pour les autres. »

Jean Bauwin
(15/03/2014)

 

 

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